Ce que la pandémie actuelle nous a très rapidement révélé, c’est la difficulté grandissante pour la parole scientifique de se faire entendre, et ensuite écouter et respecter, derrière les manœuvres politiciennes, le brouillard de la désinformation sur les réseaux sociaux, et peut-être surtout le goût du public pour le divertissement spectaculaire et les théories conspirationnistes. Mais nous savions aussi depuis longtemps, et le changement climatique l’a révélé depuis belle lurette, que le système capitaliste, combiné au goût du pouvoir des dirigeants, ne laisserait aucune vérité « dérangeante » troubler un statu quo basé sur l’optimisation du profit – et la maximisation de la puissance – d’une minorité au détriment, non seulement du bien-être de la société, mais même de la survie de l’espèce. "Don’t Look Up", la nouvelle production Netflix et le dernier film d’Adam McKay, qui joue depuis belle lurette le rôle de poil à gratter vis-à-vis de la démocratie états-unienne, même s’il décrit la menace de la destruction de la planète par une comète subitement apparue sur les télescopes des astronomes, n’a donc rien d’un film de science-fiction, et pourrait être facilement qualifié de « documentaire » sur l’état de l’Amérique. Et du monde.
Comme "Docteur Folamour" à son époque, montrant les conséquences incontrôlables de la course à l’armement nucléaire, "Don’t Look Up" dévoile les mécanismes sociaux, politiques, économiques, mais également comportementaux qui empêchent aujourd’hui l’humanité de d’abord considérer comme possible (voire « intéressant ») la menace d’une extinction. Comme "Docteur Folamour", "Don’t Look Up" est un mélange de farce satirique et de drame angoissant. Mais Adam McKay n’étant pas Stanley Kubrick, il faut bien reconnaître qu’on est loin du même niveau de qualité, cinématographiquement parlant : le film semble constamment hésiter quant à la juste dose d’humour à injecter dans le scénario, et quant à l’équilibre entre réalisme dans la description (et la dénonciation) des déviances politiques et sociales, et caricature permettant de marquer l’esprit du spectateur. Peut-être manque-t-il pour porter le film un acteur au réel potentiel comique, comme ce fut le cas avec Peter Sellers : DiCaprio n’arrive jamais à nous faire rire, et on voit bien qu’il faut attendre la dernière partie du film, et son « pétage de plombs » – une scène forte et poignante – dans l’émission de télévision pour retrouver le grand acteur qu’on a aimé. Jennifer Lawrence, quant à elle, est comme toujours très juste, très subtile, mais n’a pas le sens de la comédie, comme l’a clairement Meryl Streep, assez irrésistible en version féminine de Donald Trump.
Les principales critiques adressées au film en France sont relatives au fait que, exactement comme ce qu’il condamne, le film d’Adam McKay est outrageusement américain, et caricaturalement de son époque : il use et abuse d’effets typiques des réseaux sociaux, il est aveugle au reste du monde (l’Europe n’existe pas, on ne parlera que de la Chine et de la Russie, dépeints comme des adversaires plus incompétents que redoutables), et il se complait finalement dans les bonnes vieilles valeurs familiales et religieuses états-uniennes, avec un final caricatural voyant nos « héros » se trouver autour d’une table, célébrer la malbouffe et prier ensemble (alors qu’ils se sont présentés avant comme athées). Ce n’est pas faux, et c’est en effet gênant, mais il nous semble que cela peut être facilement expliqué par la volonté « pédagogique » de McKay : "Don’t Look Up" n’est pas destiné aux Européens ou aux habitants des côtes Est et Ouest des USA, déjà sensibilisés au réchauffement climatique et largement vaccinés contre le Covid, mais bel et bien à la majorité des Américains « moyens », complotistes, réactionnaires et peu éduqués, qu’il convient de toucher et d’influencer en les divertissant.
On peut également trouver que le propos le plus intéressant – ou en tout cas le plus novateur – de "Don’t Look Up", au-delà de la critique d’une société du spectacle en roue libre et d’un capitalisme de plus en plus destructeur, réside dans la description à la fois hilarante et glaçante du pouvoir des méga-milliardaires comme Bezos ou Musk : le personnage de Peter Isherwell, merveilleusement incarné par un Mark Rylance toujours aussi brillant, est certainement le plus terrifiant parmi la galerie de monstres qui défilent dans le film. Et si le véritable ennemi de l’Humanité, comme le soulignent d’ailleurs certains complotistes, c’était bel et bien eux ?
[Critique écrite en 2021]
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