Le long-métrage d'Adam McKay part d'intentions très louables : dénoncer l'inertie de la société face au désastre climatique imminent qui s'annonce (ici remplacé par l'impact d'une comète sur la Terre). Mais connaître l'objectif du film permet aussi de mieux jauger jusqu'où il l'atteint ou il rate sa cible.
Malheureusement, si le combat mené est juste, sa mise en scène n'est vraiment pas des plus réussies. Tout y est présenté de la manière la plus grossière et caricaturale : des politiciens forcément corrompus et sans égard pour les êtres humains aux médias qui préfèrent l'apparence aux questions de fond, on donne l'impression d'une société complètement imperméable aux problèmes posés par les scientifiques et qui perd son temps avec des questions futiles comme les relations entre stars de la musique ou les activités pornographiques des candidats aux élections plutôt que de s'intéresser à l'apocalypse qui s'annonce.
Dans cette société du spectacle à l'état pur, le grand absent, c'est le peuple. Dépeint comme une masse qui ne fait que suivre la mode du moment (que ce soit pour ou contre les buts de la science), qui passe du populisme à la foi dans la science par un simple regard vers le ciel et qu'il faut convaincre à coups de grands événements visibles, le peuple y est vu comme étant essentiellement incapable d'organisation autonome, y compris contre les puissances politico-médiatiques qui nient ce que tout le monde peut constater par eux-mêmes. On a l'impression que tout vient d'en haut, y compris les mauvais côtés (comme les croyances conspirationnistes), et qu'à part quelques scientifiques tout le monde ne fait qu'absorber passivement ce qui vient des médias. La question politique étant évacuée ou entièrement laissée dans les mains d'oligarques corrompus, les conclusions du désastre deviennent absolument inévitables. Mais cela ne doit pas forcément être le cas.
Je me permets au passage une incise épistémologique. L'idée de fond du scénario, à savoir qu'il suffirait d'ouvrir les yeux et de regarder pour voir le désastre imminent, est fondamentalement problématique par rapport au travail scientifique en général et plus spécifiquement encore à la question du réchauffement climatique. C'est bien parce que le réchauffement et ses conséquences ne sont pas aisément "visibles" (y compris pour les scientifiques eux-mêmes) mais doivent être inférés par un long travail sur un ensemble très disparate de phénomènes qui n'affectent pas toutes les parties du globe de la même manière qu'il peut être si difficile de faire comprendre à une partie du public l'ampleur de la catastrophe imminente.
Et pourtant, en dépit de ces difficultés concrètes, force est de constater qu'un grand nombre de gens sont très sensibles à la réalité du réchauffement climatique, bien plus que la plupart des gouvernements actuels ; ce qui suggère que le peuple (du moins en dehors des Etats-Unis) est plus réceptif à la science et à la réalité que ne le laisse croire le film. Pourquoi ne pas s'interroger alors sur les ressorts idéologiques et matériels qui empêchent d'accepter pleinement les objectifs écologiques y compris dans le quotidien, comme par exemple notre dépendance à l'égard des énergies fossiles ? Ce serait sacrément plus intéressant et plus audacieux que de se borner à clamer "médias et gouvernement, tous corrompus".
Au niveau des acteurs, les seuls personnages vraiment convaincants du début à la fin sont Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), le dr. Oglethorpe (Rob Morgan) et Peter Isherwell (Mark Rylance) : les deux premiers parce qu'ils sont les seuls qui ressemblent à des humains, le dernier par son portrait hilarant du businessman "visionnaire" à la Elon Musk, capable d'enrober d'un tissu de rêve son cynisme profond et indéfectible. Le pauvre DiCaprio est lui contraint à jouer un professeur partagé entre la science et le biz aux comportement désordonné et incohérent et qui contrairement à Dibiasky ou Oglethorpe ne semble jamais vraiment affronter les conséquences de ses actions. Les cornes ? Pardonnées ; les discours virulents qui coûtent très cher à Dibiasky et Oglethorpe en termes de vie privée et professionnelle ? Aucun impact sur lui. Il peut dire et faire ce qu'il veut, parce qu'il est joli (et parce qu'il est homme à la peau claire, diraient certains).
Au final, Don't Look Up part d'une très bonne idée, mais échoue à faire comprendre tous les ressorts impliqués dans la question par manque de subtilité, voire par platitude. Mais je suis néanmoins sûr que ça va donner des nouveaux slogans accrocheurs pour les manifs.