Dossier secret par OlivierBottin
Mr. Arkadin est sans doute le film le plus méconnu d'Orson Welles, et quand on connaît son histoire, on comprend pourquoi, puisqu'il a beaucoup pâti des affres du remontage, avec à la clé de multiples versions parfois très différentes, certaines structurées par flashbacks (comme Citizen Kane), d'autres montées de façon linéaire. Cette multitude de montages explique pourquoi les avis sur ce film sont parfois un peu partagés, puisque la clarté du scénario aura tendance à souffrir dans certaines versions. En réalité, il n'y a jamais eu de director's cut d'Orson Welles puisque celui ci n'a pas terminé son montage à temps (il était très lent à travailler à ce niveau là, ce fut d'ailleurs une des raisons du remontage de La Soif Du Mal), ce qui explique pourquoi la production se chargera du montage sans son avis. Cela dit, il aura eu l'occasion d'exprimer la forme qu'il voulait donner à ce film inachevé, ce qui permettra à l'éditeur américain Criterion d'en sortir un nouveau montage en 2006 (sorti en France par FSF), combinant autant de matériel existant que possible, en reprenant la structure non-linéaire voulue à l'origine par Welles. C'est sur cette version là que je me suis penché, et elle n'a aucun problème à tenir debout ; le scénario, assez alambiqué, se suit sans aucun problème.
Un scénario par ailleurs assez original à certains égards : Welles revient dans le genre du film noir (auquel, curieusement, il avouera ne pas avoir beaucoup d'affinités avec), avec personnages corrompus et douteux, complots machiavéliques et une femme au centre de toutes les attentions ; mais il y ajoute aussi de nombreux thèmes sur l'identité, le passé, la nature du mal ; la raison d'être du film réside dans son personnage titre, puissant milliardaire au passé méconnu, dont le caractère au départ mystérieux et ambigu se révélera peu à peu de plus en plus machiavélique et manipulateur ; au bout du compte, sa véritable nature aura toujours quelque chose d'insaisissable. Gregory Arkadin est comme un double maléfique de Charles Foster Kane, et le film pourrait paraître comme une relecture de Citizen Kane autour du personnage d'Harry Lime dans Le Troisième Homme.
Un beau programme pour un film sans temps mort, au scénario très bien ficelé qui réserve de nombreux rebondissements. La mise en scène de Welles est comme à son habitude très efficace, avec de nombreux plans montrant son inventivité visuelle - sans pour autant révolutionner quoi que ce soit. Cela dit, je n'irais pas considérer Mr. Arkadin comme un chef-d'oeuvre puisqu'il lui manque une touche de génie pour prétendre à ce titre. En dehors d'Arkadin, les personnages ont tendance à manquer un peu de relief ; d'ailleurs, les deux femmes constituant le triangle amoureux avec le protagoniste principal manquent de charisme. Il manque un peu de séquences inoubliables ou de dialogues mémorables, même si certaines scènes peuvent être tout à fait excellentes (l'histoire de la grenouille et du scorpion qui m'a bien amusé, le final) ; j'aurais aussi aimé voir plus de noirceur, peut-être un peu plus d'humour... Mr. Arkadin n'était sans doute pas, après tout, le film le plus ambitieux de son auteur. Mais il reste une entrée très intéressante dans sa filmographie ; si vous aimez ses autres œuvres, celle-là mérite de s'y attarder, surtout en version restaurée.