Lorsque j'étais enfant, je rêvais que je serais un justicier, que je défendrais les plus opprimés. Que j'aurais une telle force, une telle habileté, que rien ne me résisterait et que je changerais le monde en un lieu d'honneur et de justice. Les méchants n'auraient qu'à bien se tenir. Et puis j'ai lentement réalisé que ma panoplie de Batman était loin d'être suffisante.
Ne vous fiez pas à son titre, “Douze hommes en colère” est un chef-d’œuvre de simplicité et d’efficacité. Bien que ce film ne jouisse pas d'une énorme notoriété, c'est une véritable apologie de la réflexion rationnelle et de la prudence. Ce film dénonce avec brio les divers aveuglements auxquels les hommes peuvent être sujets, qui pour un motif religieux, qui pour un motif politique, qui pour un traumatisme personnel. Dans le cas présent, ce film dénonce le manque de discernement que peuvent avoir certains membres du jury qui se fient uniquement aux faits sans chercher ce qu'il peut y avoir d'irrationnel dans l'histoire. Ils se contentent de suivre les faits sans tenter de dénicher les possibles incohérences.
C'est le point de départ d'une réflexion, c'est à ce moment précis que l'histoire prend tout son sens et interpelle le spectateur face à des personnes comme vous et moi appelées à juger de la culpabilité ou de l'innocence de quelqu'un, et qui vont se laisser aller à des sentiments malsains, à de l'intimidation, à de la colère, à de l'exaspération ou encore à de la lassitude. Tous ces sentiments seront étalés tout au long des échanges souvent vifs entre les jurés. Entre celui qui veut conclure l'affaire au plus vite pour ne pas rater sa compétition sportive, un autre qui estime que l'accusé ne peut qu'être coupable au vu de la classe sociale à laquelle il appartient, ou encore celui qui s'en moque complètement, Henry Fonda usera de toute son intelligence pour les obliger, si pas à changer d'avis, du moins à réfléchir et à argumenter leur point de vue.
Bien entendu, on n'échappe pas à quelques codes plus ou moins explicites. Henri Fonda est le seul à porter un costume blanc, le costume du « chevalier blanc » de qui vient le redressement de ce qui aurait pu être une injustice, sa profession d'architecte le positionnant d'emblée comme l'artisan de la construction du débat. Son premier allié est naturellement le vieil homme, le juré n°9, porteur de cette sagesse qui peut être vue comme le privilège de l'âge. Le seul personnage à ne jamais ôter sa veste de costume est le juré n°5, E. G. Marshall, le courtier en bourse, lieu de la raison objective, seul rempart contre l'émotion et contre la transpiration dans cette ambiance lourde et caniculaire où chacun souffre rapidement d'une sudation ruisselante. Sans doute pourrait-on rechercher d'autres artifices encore, mais le propos du film est tellement clair que le décodage des non-dits n'est ici finalement que de peu d'utilité.
A l'heure où bon nombre de films américains évoquent la peine de mort avec plus ou moins de succès et sous différents angles, celui exposé par Sydney Lumet sort du lot. Il témoigne d'une véritable lourdeur, d'un jugement déterminant et d'une issue bien souvent mal considérée. C'est pour ces raisons que l'ambiance du film est fabuleuse, il s'agit d'un huis clos étouffant, on voit les protagoniste souffrir de la chaleur tout au long du film. Sydney Lumet met en place une athmosphère poisseuse et tendue, ces douze hommes ordinaires ont une responsabilité énorme, ils tiennent entre leurs mains la vie d'un homme et le réalisateur réussit à nous faire ressentir le stress qui les étreints.