Cette célèbre phrase attribuée à Socrate aurait très bien pu sortir de la bouche d’Henri Fonda dans ce film-pièce de théâtre. Mon jugement sur 12 hommes en colère est en demi-teinte. J’ai apprécié ce film notamment pour la mise en scène. Le jeu d’Henri Fonda, qui construit à lui tout seul l’intrigue en faisant naitre peu à peu le doute dans l’esprit des autres jurés, est somptueux. La structure du film qui s’apparente à une pièce de théâtre en actes identifiables (la chaleur étouffante, la pluie, l’entracte aux toilettes…) et respectant les canons du théâtre classique avec la règle des trois unités (lieu, action, temps), est parfaite. La tension permanente entre les jurés est très bien rendue, on ressent facilement le rapport de force lié à la fierté des protagonistes notamment à travers les joutes verbales subtiles.
Maintenant si l’on analyse les objectifs de l’œuvre, on remarque que le film, à travers Henri Fonda, traite la question de la vérité et se montre particulièrement moralisateur. Les premiers instants des débats révèles d'emblée les faiblesses du principe démocratique de liberté d'expression : chacun défend une opinion s’expliquant par l’expérience personnelle. L’assemblée est marquée par une très grande hétérogénéité de mentalités et de milieux sociaux, seul le sport rapproche les individus. La question de la démocratie apparait aussi par le comportement passif et versatile de certains jurés. Ils suivent le mouvement général sans s’embarrasser des contraintes éthiques ou philosophiques. D’autres jurés, s’attachent à juger la valeur de l’accusé et celle des témoins au lieu de juger la pertinence des témoignages. Pourtant même si Fonda met en lumière de vrais arguments et invite les jurés à se remettre en question, il n’hésite pas pour autant à utiliser d’autres artifices pour s’assurer leur soutien : il s’intéresse à leur vie, il a de bonnes manières, il insiste sur le côté pathétique de la vie affective du gamin.
Au fur et à mesure du film, il parvient a déconstruire les témoignages et les éléments tangibles de l’accusation. C’est justement là, à mon sens, qu’apparaissent les limites du film qui dénonce les failles du système judiciaire miné par les préjugés mais qui n’apporte pas de solution concrète à ce problème. Non seulement, on ne sait pas qui est le coupable, les protagonistes n’en parlent à aucun moment, mais on n’a même pas la certitude que le gamin soit innocent (son alibi n'est pas vérifiable). On sait seulement que, faute de preuve, il est impossible d'affirmer la culpabilité de l’accusé. Le procès devrait mécaniquement accoucher d’un non lieu. Si la raison et l’honnêteté animent Henri Fonda dans ce film, cela ne l'empêche pas pour autant d'avoir recours au registre pathétique pour appuyer son argumentation (le coup de l’émotion pour expliquer le fait que l’enfant ait oublié le titre du film est discutable). On oublie même finalement la vraie victime (le père assassiné) pour s’intéresser uniquement à la situation de l’enfant. L’enfant, parlons-en, Fonda semble dénoncer les préjugés autour de l’enfant coupable et dangereux, mais pour en imposer d’autres, à savoir l’image de l’enfant innocent, victime de la pauvreté et de l’irresponsabilité des adultes. 12 hommes en colère est un film avant-gardiste de la post-modernité qui vise à déconstruire les certitudes, les lois et les repères des sociétés, en soulignant par exemple l’impuissance de la justice, pour les remplacer par un vague "à chacun sa vérité". La subjectivité des témoins étant sans cesse mis en exergue par le personnage principal. La justice est-elle là pour établir "la vérité" au nom de la morale ou pour maintenir un équilibre (précaire) dans la société en arbitrant les conflits entre individus dans le but d’annihiler les désirs de vengeance ? Ici, Henri Fonda est le patron, il a tranché, il vaut mieux un désordre "juste" à un ordre "injuste".
Bien qu’il s’agisse d’un engagement honorable, le film se contente de remettre en cause la culpabilité de l’accusé sans offrir de réponse réelle sur ce procès. Cependant, je reconnais avec sincérité l’originalité et la qualité de ce très bon film.