Ce Dracula, apparemment très fidèle au roman de Bram Stoker, est un objet cinématographique très particulier qui provoque des émotions contradictoires chez le spectateur. Il propose un univers baroque dans lequel Francis Ford Coppola prend un plaisir particulier à rendre hommage à différentes époques du cinéma : le combat de marionnettes, la scène muette dans le Londres de 1897, ou encore la robe verte de Mina tout droit sortie d'Autant en emporte le vent sont des exemples parmi tant d'autres.
Mais voilà : aussi jouissif que soit le début du film dans le château avec tous ces jeux d'ombres, cela n'en fait pas pour autant un chef d'œuvre. Winona Ryder est inexpressive et s'avère malheureusement être le personnage principal du film : sortez les violons, ça parle d'amour comme dans les films romantiques des années 40/50, et la voir hésiter entre son fiancé "officiel" et le prince des vampires finit par sacrément gonfler. Anthony Hopkins, lui, fait correctement son job dans son rôle de Van Helsing, mais j'ai eu la mauvaise impression de le voir réciter des lignes de texte de l'Exorciste. Avec son crucifix et ses prières contre le démon, se serait-il trompé de film ? Quant à ce pauvre Keanu Reeves, malgré toute la sympathie que j'ai pour lui, il ne fait que de la figuration. Pourtant, au début, le héros, c'est LUI, et sa première rencontre avec "D" semblait annoncer une confrontation grandiose. Bizarrement, il disparaît subitement après une grosse demi-heure, et ses lignes de dialogues se comptent sur les doigts d'une main dans la seconde moitié du film.
Et puis il y a évidemment ce bon vieux Gary Oldman, qui tient là le rôle de sa vie. Mais il surjoue tellement que cela en devient presque risible pour le spectateur moderne que nous sommes. C'est bien simple, ce long métrage aurait pu sortir dans les années 60, tant il semble daté à tous les niveaux (rythme, direction des acteurs, emphase des dialogues, photographie, effets spéciaux). Les amateurs de Technicolor et de couleurs bien criardes seront aux anges, mais personnellement, j'aurais aimé que cette adaptation fût plus sombre, plus effrayante, et surtout plus sanglante.
On ne peut pas vraiment reprocher quoi que ce soit à Coppola en terme d'exécution : après tout, le roman datait de la fin du XIXème siècle, et il n'était pas forcément évident de moderniser l'histoire sans la dénaturer. FFC a créé un univers atypique et cohérent, mais pas forcément adapté au cinéma des années 90. En insufflant un peu plus de panache à ses personnages et en nous proposant un comte moins kitsch, le réalisateur du Parrain et d'Apocalypse Now aurait probablement ajouté un chef-d'œuvre incontestable de plus à sa filmographie.