Francis Ford Coppola a-t-il réalisé la version ultime de Dracula ou un grand carnaval gothique sous LSD ? La réponse se situe quelque part entre les deux. Son adaptation du roman de Bram Stoker est une déclaration d'amour au romantisme macabre, une orgie visuelle qui oscille entre le sublime et le grand-guignol. Un film qui, même trois décennies plus tard, fascine autant qu'il divise.
Une esthétique à couper le souffle
Difficile de nier la beauté plastique du film. Les costumes de Eiko Ishioka sont des chefs-d'œuvre en soi : l'armure rouge sang de Dracula, les robes victoriennes de Mina et Lucy, chaque pièce de tissu semble avoir été cousue par le Diable en personne. La photographie, baignant dans des teintes cramoisies et dorées, nous plonge dans un tableau mouvant, quelque part entre une peinture romantique et un cauchemar fiévreux. Le film refuse les effets numériques et préfère les trucages à l'ancienne : surimpressions, ombres mouvantes, perspectives trompeuses. Le résultat est hypnotique, parfois grotesque, mais jamais ennuyeux.
Une fidélité discutable mais passionnante
Là où Coppola frappe fort, c'est dans sa volonté d'être plus fidèle à l'esprit du roman que les adaptations précédentes. Il reprend la structure épistolaire de Stoker, donne enfin un rôle consistant à Mina, et fait de Dracula un personnage tragique, mélancolique, hanté par la perte de son amour. Mais cette vision s'accompagne de libertés discutables : l'histoire d'amour entre Dracula et Mina, absente du livre, devient le cœur du récit. Ce choix, s'il apporte une profondeur émotionnelle, transforme le comte en un antihéros romantique plutôt qu'en une incarnation pure du mal.
Un casting en dents de scie
Gary Oldman livre une performance hallucinée, tantôt glaçante, tantôt ridicule. Son Dracula oscille entre le grandiose et l'excessif, notamment dans sa version de vieillard au chignon improbable. Winona Ryder est convaincante en Mina, mais c'est Anthony Hopkins en Van Helsing qui s'offre les meilleures répliques, avec une interprétation aussi excentrique que jubilatoire. Et puis... il y a Keanu Reeves. Pauvre Keanu, perdu dans cet univers gothique, coincé avec un accent britannique aussi fragile qu'un miroir dans une tempête. Chaque scène avec lui réduit l'intensité dramatique à peau de chagrin.
Un opéra trop grandiloquent ?
Si Dracula est un régal pour les yeux, son désir de grandeur le pousse parfois dans l'excès. Le jeu outrancier, les dialogues ampoulés, la musique omniprésente de Wojciech Kilar, tout semble démesuré. L'émotion est parfois étouffée sous le poids de cette démesure baroque. Le film ne connaît pas la demi-mesure et, pour certains spectateurs, cela relève du génie ; pour d'autres, d'une indigestion visuelle et sonore.
Un impact indélébile
Malgré ses défauts, Dracula reste une référence incontournable. Il a influencé l'esthétique gothique des années 90, inspiré d'innombrables adaptations et séries vampiriques. Son exubérance est devenue culte, et sa patte visuelle continue d'être une référence en matière de mise en scène gothique.
En bref, Dracula de Coppola est une fresque époustouflante, imparfaite et enivrante. Un peu comme un grand vin trop corsé : il enivre certains, dégoûte d'autres, mais ne laisse personne indifférent.