Francis Ford Coppola, en réalisant sa version de Dracula, souhaitait revenir à la source du roman de Bram Stoker, loin du folklore parfois ridicule dont fut par la suite affublé le Prince des Vampires. Pourtant, la base du film, l'histoire d'amour entre Vlad III l'Empaleur et son amour mort Elisabeta ressuscitée quatre siècles plus tard sous les traits de Mina Harker, n'est pas dans le roman. Mais le suicide d'Elisabeta, au début du film, est basé sur une histoire vraie : alors que le prince Vlad (véritable personnage historique) était parti en guerre, des agents turcs ont effectivement tiré une flèche dans son château pour annoncer la fausse nouvelle de sa mort. En ce sens, selon Coppola, le film est plus fidèle à la réalité historique que le roman.
Parmi les autres différences, là où le livre alterne la narration à la troisième personne avec les journaux intimes des personnages, dans le film tout est à la première personne. Le film se place ainsi d'emblée du côté du vampire, enlevant par là une bonne partie du côté horrifique qu'avait le roman, qui suivait le point de vue (écrit au présent) de Jonathan Harker (joué ici par Keanu Reeves) découvrant peu à peu ce monde pour le moins inquiétant.
Pour autant, Coppola ne méprise pas le travail sur l'atmosphère surnaturelle, bien au contraire. Celle-ci est créée entre autres par des présences sonores non-motivées, sur le mode de la création expérimentale. Dans l'antre de Dracula, par exemple, on entend plein d'autres choses que le seul comte : des chauve-souris, bien-sûr, mais aussi des cris de bébé, des gémissements, des voix qui semblent émaner des statues, des déplacements sonores, des grognements de Dracula ne semblant pas venir de son corps... Les réverbérations sont souvent déphasées (un son à droite se réverbère à gauche), des rimes sonores font le lien entre les plans (le tic-tac de la machine d'Elisabeta et le son des sabots des chevaux par exemple)... tout un engendrement de formes métriques fait basculer le film dans une atmosphère irréelle, fantastique.
La voix si particulière de Bela Lugosi dans le Dracula de Tod Browning (due autant à l'accent réellement originaire de Transylvanie de l'acteur qu'à la volonté du cinéma de cette époque récemment passée au parlant de rendre tous les dialogues limpides à l'écoute) est reprise avec délectation par Gary Oldman, qui s'en donne à cœur-joie dans un jeu expressionniste, un peu dans la veine de celui d'Anthony Hopkins interprétant Hannibal Lecter dans Le Silence des Agneaux sorti la même année (on retrouve d'ailleurs Hopkins dans ce Dracula, jouant le chasseur de vampires Van Helsing).
Cet avatar de Satan a ainsi pouvoir sur la vie et la mort, et ce pouvoir est lié à son amour, son désir. Il tue pour éterniser, figeant les êtres à jamais, les pétrifiant en buvant leur sang. Comme le disait le Marquis de Sade, « le désir d'amour poussé à ses limites est un désir de mort ». Dracula est un être insatiable, dont la soif de sang autant que le désir d'amour sont des puits sans fond.
Si le Comte oscille visuellement entre l'Empereur Darth Sidious et Casanova, on peut également noter de très nombreuses références picturales traversant l'œuvre, de l'autoportrait façon Dürer à la reprise du tableau de Klimt Le Baiser lors de l'étreinte finale, qui voit Mina/Elisabeta (re)devenue amoureuse de Dracula l'absoudre dans la chapelle même où il avait renié Dieu en 1462. Tous deux sauvés, Mina peut enfin lui donner la paix à laquelle il aspire en le tuant de ses propres mains...