Le Chelsea Hôtel, c’est Leonard Cohen qui en parle (le chante) avec le plus de nostalgie suave dans la voix. Le pitch : alors que je viens de naître, celui qui n’est encore que poète, a tout plaqué pour (re)naître comme musicien. Il ne perce pas (encore). Cette nuit-là de 1968, dans l’ascenseur du Chelsea Hôtel, il se retrouve face à Janis Joplin. Deux égarés (à l’époque) dans l’ascenseur le plus lent de New-York (toujours à l’époque) qui finissent par passer la nuit ensemble. Ce n’est qu’après la mort de Janis Joplin que Leonard Cohen écrit sa chanson : Chelsea Hôtel #2 si émouvante et remplie de ce désir ardent d’une nuit.
Cette nuit-là, à l’origine, Cohen était parti à la recherche de Dylan Thomas. En vain. « Dylan Thomas était mort » expliquera-t-il.
C’est aussi pour rencontrer l’âme de Dylan Thomas que Patti Smiths’installe au Chelsea, « Là où vivent les grands hommes ». Là où elle s’apprête à vivre ses moments les plus brûlants en compagnie de Robert Mapplethorpe. Fauchés mais heureux : ils vivent comme des chats, au temps présent. Patti Smith y trouve une inspiration semblable à celle de Leonard Cohen : elle y écrit sa première chanson. Des années plus tard, dans le siècle d’après, elle y revient assurer la promotion de sa biographie « Just Kids » où elle se souvient des années libertaires dans cet hôtel que des artistes en devenir ont rendu mythique (ou est-ce la puissance mystérieuse du lieu qui a fait d’eux, eux tous, des artistes ?) : Kerouac et la Beat Generation. L’écrivain y termine « Sur la route » ; Allen Ginsberg sacre « Howl ». On y croise Nico et le Velvet underground, Andy Warhol et ses filles en mode split screen, avant de se faire tirer dessus par Valérie Solanas qui l’accuse d’avoir volé son manuscrit « Up your ass » ; Miller et Monroe ; Nicki de Saint-Phalle et ses Nanas ; Christo et sa femme ; Klein et son bleu. Que des histoires de couples entrés dans l’histoire de l’Art, d’artistes engagés dans la contre-culture américaine.
Patti Smith est la pierre angulaire du lieu, son itinéraire épique si étroitement mêlé à celui de l’hôtel iconique : lors de la promotion de « Just Kids » elle est rejetée par les occupants, en guerre contre le promoteur qui a racheté le Chelsea. Le capitalisme succède aux décennies punks et Patti Smith s’est embourgeoisée.Le projet immobilier prévoit une rénovation luxueuse d’ampleur à l’occasion de laquelle les appartements des locataires sont divisés (ou les loyers augmentés). On incite les uns à partir et les autres à se diviser. Un collectif de locataires résiste et les travaux prennent du retard. Mais l’argent domine.
C’est cette scission que raconte Dreaming Walls, documentaire émouvant, empreint de fantômes pas toujours glamours : Sid Vicious y commet un féminicide.
Si les piliers actuels d’une contre-culture contemporaine plus confidentielle ne sont pas des stars, ce film leur rend un vibrant hommage : ils sont 51 qui assurent aujourd’hui la résilience du Chelsea Hôtel, déterminés à en découdre, déterminés à y créer, pour l’éternité.