Dreaming Walls
6.6
Dreaming Walls

Documentaire de Joe Rohanne et Maya Duverdier (2022)

Le Chelsea Hôtel, c’est Leonard Cohen qui en parle (le chante) avec le plus de nostalgie suave dans la voix. Le pitch : alors que je viens de naître, celui qui n’est encore que poète, a tout plaqué pour (re)naître comme musicien. Il ne perce pas (encore). Cette nuit-là de 1968, dans l’ascenseur du Chelsea Hôtel, il se retrouve face à Janis Joplin. Deux égarés (à l’époque) dans l’ascenseur le plus lent de New-York (toujours à l’époque) qui finissent par passer la nuit ensemble. Ce n’est qu’après la mort de Janis Joplin que Leonard Cohen écrit sa chanson : Chelsea Hôtel #2 si émouvante et remplie de ce désir ardent d’une nuit.

Cette nuit-là, à l’origine, Cohen était parti à la recherche de Dylan Thomas. En vain. « Dylan Thomas était mort » expliquera-t-il.


C’est aussi pour rencontrer l’âme de Dylan Thomas que Patti Smiths’installe au Chelsea, « Là où vivent les grands hommes ». Là où elle s’apprête à vivre ses moments les plus brûlants en compagnie de Robert Mapplethorpe. Fauchés mais heureux : ils vivent comme des chats, au temps présent. Patti Smith y trouve une inspiration semblable à celle de Leonard Cohen : elle y écrit sa première chanson. Des années plus tard, dans le siècle d’après, elle y revient assurer la promotion de sa biographie « Just Kids » où elle se souvient des années libertaires dans cet hôtel que des artistes en devenir ont rendu mythique (ou est-ce la puissance mystérieuse du lieu qui a fait d’eux, eux tous, des artistes ?) : Kerouac et la Beat Generation. L’écrivain y termine « Sur la route » ; Allen Ginsberg sacre « Howl ». On y croise Nico et le Velvet underground, Andy Warhol et ses filles en mode split screen, avant de se faire tirer dessus par Valérie Solanas qui l’accuse d’avoir volé son manuscrit « Up your ass » ; Miller et Monroe ; Nicki de Saint-Phalle et ses Nanas ; Christo et sa femme ; Klein et son bleu. Que des histoires de couples entrés dans l’histoire de l’Art, d’artistes engagés dans la contre-culture américaine. 


Patti Smith est la pierre angulaire du lieu, son itinéraire épique si étroitement mêlé à celui de l’hôtel iconique : lors de la promotion de « Just Kids » elle est rejetée par les occupants, en guerre contre le promoteur qui a racheté le Chelsea. Le capitalisme succède aux décennies punks et Patti Smith s’est embourgeoisée.Le projet immobilier prévoit une rénovation luxueuse d’ampleur à l’occasion de laquelle les appartements des locataires sont divisés (ou les loyers augmentés). On incite les uns à partir et les autres à se diviser. Un collectif de locataires résiste et les travaux prennent du retard. Mais l’argent domine.

C’est cette scission que raconte Dreaming Walls, documentaire émouvant, empreint de fantômes pas toujours glamours : Sid Vicious y commet un féminicide. 


Si les piliers actuels d’une contre-culture contemporaine plus confidentielle ne sont pas des stars, ce film leur rend un vibrant hommage : ils sont 51 qui assurent aujourd’hui la résilience du Chelsea Hôtel, déterminés à en découdre, déterminés à y créer, pour l’éternité.

Isabelle-K
10
Écrit par

Créée

le 29 sept. 2024

Critique lue 8 fois

Isabelle K

Écrit par

Critique lue 8 fois

D'autres avis sur Dreaming Walls

Dreaming Walls
RENGER
6

La disparition d’une utopie, celle d’un haut lieu de la contre-culture new-yorkaise.

Le Chelsea Hotel à New York était le temple de la contre-culture depuis plus d’un siècle. On y trouvait des artistes à tous les étages où il y régnait un esprit bohème, entre créativité, drogue et...

le 8 sept. 2024

1 j'aime

Dreaming Walls
Slapkanovitch
8

Juste la fin d'une onde

Dreaming Walls revient sur la disparition du mythique Chelsea Hotel situé à New York, construit en 1883 et bientôt transformé en établissement de luxe. Ce lieu est devenu le repère de nombreux...

le 9 juil. 2022

1 j'aime

2

Dreaming Walls
Isabelle-K
10

Dreaming walls

Le Chelsea Hôtel, c’est Leonard Cohen qui en parle (le chante) avec le plus de nostalgie suave dans la voix. Le pitch : alors que je viens de naître, celui qui n’est encore que poète, a tout plaqué...

le 29 sept. 2024

Du même critique

L'Histoire de Souleymane
Isabelle-K
9

L'histoire de Souleymane

Une histoire qui soulève le cœur, démolit corps et esprit, tant l’empathie avec Souleymane nous saisit. Pas tant l'histoire de Souleymane d'ailleurs, que l'on découvre à la toute fin du film, que ce...

le 17 oct. 2024

1 j'aime

Tatami
Isabelle-K
9

Tatami

Les choix radicaux opérés au nom de la liberté et de la dignité m’émeuvent et m’interrogent. Serais-je capable de renoncer à ma vie, à mes biens, à ma famille, à mon pays et de choisir l’exil, sans...

le 29 sept. 2024

1 j'aime

Rabia
Isabelle-K
9

La Rage

Ce film se déploie comme une expérience traumatique sur le point de se raviver après des années, pour l’exorciser et s’en libérer, se rappelant à notre conscience par flashs tantôt nimbés d’une...

il y a 4 jours