"Chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière." Victor Hugo
Urbanisation tentaculaire, clarté diaphane dispensée par des néons aseptisés, ville obstaculaire, elle murmure, voile, se dilate sous les arabesques anguleuses de son protagoniste lucifuge. Placide, le regard dur, il oscille, épousant ces courbes familières, dont l'angularité s'adoucit sous sa vitesse maîtrisée. Ici c'est avec une rare subtilité que Nicolas Winding Refn film les méandres d'un personnage en quête de lui même. A travers une relation symbiotique, quasi sensuelle il exprime la déviance, celle de sa voiture , mais également de son esprit, psychotique qui n'est que le reflet d'une société duelle. S'affranchissant des règles, il vit aux antipodes de l'archétype du héros, sous la sérénité de sa pupille palpite les frémissements d'une ambivalence destructrice, annihilant l'once d'humanité apportées par les lueurs diaphanes du crépuscule, de cet instant où le familier se mue en une inquiétante étrangeté [©]. Muré dans un mutisme ambigu, la violence latente point là où se diffuse la beauté, lorsque l'esthétisation du plan est à son acmée, éclate la violence volcanique, native, brute, elle devient elle même porteuse de sens, cette fracture émotionnelle quasi carcérale, qui l'emplit, l'anime,le détruit, lui permet d'exister. Déviance qui se retrouve également dans la complexité des rapports qu'il entretient avec les autres, cette incommunicabilité tant avec autrui qu'avec le monde qui l'entoure, où le seul lien est mécanique. Ainsi le téléphone devient l'outil indispensable entre lui et les autres, tout comme la voiture également médiateur essentiel entre lui et lui même, catalyseur de sa quête irrésolue lors de l'excipit. Rythmée par une musique électro aux accents féminins, et aux tonalités métalliques,la fuite perpétuelle du driver devient alors enivrante, puisant en elle l essence même de sa transformation. Une déviance qui s'inscrit dès le générique, par cette police agressive, suggérant le rapport à la violence intimement liée au désir, désir envers une femme mariée, désir de contrôler le champ, de contrôler une ville nocturne et soumise, désir de liberté. Sous ses allures de film noir, il affiche comme doctrine le clair obscur, faisant de son protagoniste la cristallisation du héros moderne qui sous son pâle reflet de stéréotype aborde une instabilité psychique, traduisant la quête d'hommes perdus au sein cités tortueuses, de recoins exigus où s'échoue la lumière.
Alliant une mise en scène travaillée, cette histoire à vocation universelle vibre au rythme d'une bande son mêlant onirisme et pulsations lancinantes. Illusion de la stabilité au sein de cet univers spéculaire, où n'est évoqué que brièvement l'intériorité du protagoniste, comme autant de pulsions caractérisant le dualisme de sa psyché torturée, entre la fadeur d'un monde où il ne peut communiquer et la violence exprimée de sentiments profonds. Sans doute l'un des film les plus poignant de cette rentrée, nous absorbant indéniablement au sein de cet univers aux frontières nimbées d'une atmosphère poudrée, mêlant l'asphalte, la beauté, l'hémoglobine et les pales rayons du soleil. Maintenus sous tensions, nous écarquillons les yeux comme si de plus de fantasmes pouvait naître la lumière, cette écume vaporeuse à laquelle le rider/driver semble continuer d'aspirer.