Bien que le film soit sortit il y a 3 ans déjà, il me semble important de revenir sur Drive, film auréolé de succès à juste titre (inutile de rappeler qu'il a reçu le prix de la mise en scène au festival de Cannes de2011)qui est l'aboutissement de l’œuvre de Nicolas Winding Refn.

L'analogie entre la scène d'ouverture (course poursuite sous tension faites de chassés croisés) et le style Michael Mann est aisée et peut sembler surfaite tant elle a été martelée à la sortie du film autant par les critiques aguerris que par le spectateur lambda. Cependant il existe bel et bien de nombreuses similitudes entre la première séquence de Drive et l’esthétique du réalisateur américain affublé de ses gimmicks caractérisant l'aspect urbain/nocturne/aérien de Los Angeles : la teinte bleutée de l'image, les plans aériens des buildings, les mouvements de caméras amples, la gestion des focales dans l'habitacle de la voiture qui floutent et hypertrophie les lumière artificielles de l’extérieur, tout cela renvoie aux polars urbains de Michael Mann.
Toutefois, Nicolas Winding Refn ne se contente pas d'emprunter une stylistique aux plus talentueux de ses confrères contemporains, il sait aussi inventer et jouer sur les codes cinématographiques.


Le réalisateur danois a toujours donné une importance significative à la mise en scène singulière et hétérogène de sa filmographie. La caméra au poing heurtante de la trilogie Pusher offrait un réalisme poignant quasi documentaire à sa plongé dans le quotidien des dealers de Copenhague. La vie carcérale du psychopathe narcissique Bronson était théâtralisée par les allés et retours sur scène où le gaillard se donnait en spectacle. Cette obsession attachée à la forme de ses films trouve son paroxysme dans son dernier, venant juste après Drive, Only god forgives. La narration dont le pitch tient sur un timbre poste n'est qu'un prétexte au déploiement d'une esthétique formelle millimétrée et criante qui met en exergue un certain symbolisme. Car dans les films de Refn la mise en scène ne se limite jamais a exister comme une simple parure sublime, elle fait vivre et retentir un sous-texte relativement riche. Dans Only god forgives il s'agissait de la psychanalyse de l'impuissance avec un Ryan Gosling sous le joug d'une mère incestueuse et castratrice incarnée par Christine Scott Thomas. C'est dans cet approche du héros de cinéma d'action que ce film constitue une sorte de dégénérescence de Drive.

Le pitch de Drive est simple : Le héros cascadeur le jour, conduit méthodiquement des criminels la nuit afin qu'ils échappent à la police. Il voit son quotidien bouleversé par sa nouvelle voisine dont il s'éprend
et qu'il va devoir protéger des mafiosi qui en ont après son mari fraîchement libéré de prison.
Une histoire simple enrobée par une image aux couleurs et à la luminosité travaillées, le tout baigné dans une bande son eighties (Nightcall de Kavinsky) et dans les nappes de synthé de Cliff Martinez, ancien membre des Red hot chili peppers et certainement l'un des meilleurs compositeur de musiques de film actuellement.
Le propos de Drive se concentre sur la thématique du héros inscrit dans une sorte de conte de fée moderne désidéalisé. Le driver trouve l'amour en la personne d'Irène qui s'occupe seule de son fils pendant que son mari purge une peine de prison. Cet amour est un amour pur, jamais consommé, basé sur un échange de regards profonds, sans paroles superflues. Le jeu de Ryan Gosling, plus mutique que jamais, pourrait passer pour une volonté de la part du réalisateur d’effacer son personnage pour laisser une plus grande part à la mise en scène, cependant il caractérise clairement la personnalité à la fois mélancolique et déshumanisée du héros. Déshumanisation qui passe également par l'absence de nom de ce dernier. Les jeux de lumière, étudiés pour laisser une part d'ombre et une part lumineuse dans le cadre et ce parfois sur le visage du driver traduisent une certaine dualité de ce dernier. Tantôt tendre, attentionné calme et doux, tantôt capable d'une violence inouïe, froide et démesurée.
Cette deuxième facette éclate aux yeux d'Irène lors de la scène de l’ascenseur. Superbe scène devenue culte où le héros et Irène se retrouvent dans l’ascenseur aux côté d'un individu suspect. Un mouvement de caméra subjective (du point de vue du héros) nous dévoile que l'individu porte une arme. Le driver repousse alors Irène d'un geste protecteur dans le fond de la cage d'ascenseur, la lumière devient nettement plus tamisée, des sonorités aux accents oniriques envahissent l'espace. Il s'approche vers elle commence à l'étreindre puis l'embrasser. Ils sont seul dans le cadre, ce moment n'appartient qu'à eux et semble durer une éternité, comme si le temps était suspendu. Lorsque l'étreinte se termine, l'assaillant tente brusquement de sortir son arme. Il est arrêté et neutralisé par le héros qui laisse alors apparaître sa face sombre et broie littéralement la tête de l'homme à coup de pieds sous les yeux d'Irène. Le fait que ce déchaînement de violence exacerbée, sommet de barbarie du film, soit juxtaposé directement à l'instant le plus munificent constitue la scène centrale et le paroxysme du film. Toute l'ambivalence du héros implose dans cet ascenseur, temple de son âme. Le thème principal du film réside ici. La séquence prend fin sur un plan de la porte de l'ascenseur se refermant, venant séparer les deux êtres (Irène étant sortie apeurée). Dans ce plan, le scorpion cousu sur le dos de la veste du driver occupe la majeur partie du cadre. Il s'agit d'une référence à la fable du scorpion et de la grenouille – un scorpion ne sachant pas nager demande à une grenouille de le porter sur son dos pour traverser une rivière, elle se laisse convaincre malgré sa crainte de se faire piquer, le scorpion argumente en lui disant que s'il l'a pique, il mourra noyé ; rendus au milieu de la rivière le scorpion pique la grenouille, cette dernière lui demande une explication sur son geste le condamnant lui aussi, ce à quoi le scorpion répond que c'est dans sa nature - Le scorpion est l'alter-ego du héros, la violence qui réside en lui est une fatalité à laquelle lui et les gens qui l'entourent ne peuvent échapper.
Drive se positionne donc comme un renouvellement du polar, mais avant tout comme un objet cinématographique envoûtant et singulier.
Hadrien_Peltier
9
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le 9 nov. 2014

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Hadrien Peltier

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