Plus d'un mois nous sépare de la projection de « Drive » présenté sur la Piazza Grande au Festival du Film de Locarno, et autant vous dire que nous sommes toujours sous le choc. Plutôt fidèlement adapté du roman éponyme de James Sallis, « Drive » nous invite à suivre le parcours d'un chauffeur anonyme, peu bavard et solitaire. Réputé pour exceller au volant, il conduit pour le cinéma le jour et pour des criminels la nuit. Quand sa route croise celle d'Irene et de son fils, sa vie sans attache va être bouleversée.
Loin de l'échec cuisant de son thriller lynchien « Fear X » (plutôt bon au demeurant), il semblerait que cette deuxième tentative d'expatriation en terres hollywoodiennes soit la bonne pour le Danois Nicolas Winding Refn. Après sa trilogie « Pusher », le théâtrale « Bronson » et le grandiose « Valhalla Rising », le jeune prodige envoie aujourd'hui un uppercut au cinéma d'action américain. Véritable bombe à retardement, « Drive » est traversé par une tension ininterrompue et finit par exploser dans un extraordinaire climax de violence et d'émotion. Mis en scène par des mains de maître - travellings arrière kubrickiens, une course poursuite digne des classiques du genre, le film nous rappelle combien un ralenti peut avoir de classe quand il est utilisé intelligemment et parvient à nous émouvoir par de simples virées en voiture ! Refn n'a assurément pas volé son prix à Cannes.
Sur fond de musique électronique éthérée, ses personnages exploitent à merveille la profondeur émotionnelle des non-dits. Face à une Carey Mullignan délicieusement vulnérable, Ryan Gosling crève l'écran. Monolithe de froideur et de sensibilité, il fait directement écho à la force physique et muette du viking de « Valhalla Rising ».
Rendant un ultime hommage à Kenneth Anger, Refn livre une réalisation hypnotique, puissante, violente et esthétiquement irréprochable. Si ses deux précédents films étaient truffés de références à Stanley Kubrick (ce qui lui a valu l'honneur d'être régulièrement cité parmi ses héritiers) il prend ici le meilleur de Michael Mann, de William Friedkin et de David Cronenberg pour un résultat qui transcende ses influences. Au final, « Drive » s'affirme comme un classique instantané. On en sort groggy et persuadé de tenir un des plus grands films de l'année.