Le film est ambitieux et étonnant par la largeur du cadre qu’il déploie (c’est un drame de 3h) et des audaces qu’il s’y permet en conséquence.
D’abord, dans les 45 premières minutes, il nous montre ce qui aurait pu être un film à part entière. Puis il effectue une ellipse (démarquée par un générique) qui nous propulse vers ce qui est à la fois un épilogue de l’histoire qui a été racontée, un autre film qui aurait pu se tenir seul et, de ses 2h15, le vrai gros morceau de Drive My Car. Donc en fait, c’est plutôt le fait que le film ait un prologue de 45 minutes qui est si étonnant.
Mais ce n’est pas les seules audaces dramaturgiques qu’une telle longueur permet au film. Il semble fonctionner selon un principe qui consiste à nous placer devant des comportements dont le sens nous est tu pendant très longtemps (ce qui peut repousser ou fasciner, selon le spectateur) avant que celui-ci soit dévoilé lors de dialogues ou de monologues, comme des récompenses cathartiques. C’est notamment le cas lorsque les 5 premières minutes du film viennent prendre tout leur sens 2 heures plus tard.
Pour un film aussi mutique et secret, ça a du sens que son thème principal semble être la communication, ou plutôt son absence. Le fait de ne pas engager le dialogue, de préférer taire les choses de peur de se confronter à des vérités qu’on ne puisse comprendre mais aussi accepter. Et donc de briser ce dont on estime dépendre.
Alors à la place, on se crée un récit intérieur et on le garde pour soi. Ce qu'on pense, on se permet de l'exprimer à voix-haute qu’à travers les dialogues d’une pièce de théâtre et encore, seulement dans l’habitacle protégé d’une voiture, pas sur scène. Ça marche jusqu’à ce que la voiture s’accidente, par notre propre aveuglement.
Alors il faudra passer par autre chose. Profiter de ceux qui s’invitent successivement dans cet habitacle et engagent la conversation. Cela devient le moment d’échanger et de dévoiler. Au point de peut-être pouvoir ensuite exprimer ces choses devant tout le monde, au théâtre (dans une mise en scène qui jusqu’ici semblait vouloir exorciser les mots et leur compréhension, en employant de multiples langages que tous les acteurs ne partagent pas).
C’est un grand film de scénario et de performances d’acteurs, ces deux éléments devant soutenir une intrigue longue et animée par des émotions complexes. Dommage que pour moi, la mise en scène paraisse un peu glaciale et que le film n'explose que lors de ses monologues, laissant donc le gros travail, encore une fois, aux mots et à ceux qui les portent. C’est une approche naturaliste assez élégante, mais qui malheureusement n’a pas imprimé le film dans mes rétines. Mais rien que pour réussir à maintenir l’attention pendant à peu près 3h, en dépit de cette quasi-absence de mise en scène, le film reste plutôt fort.