En 1977, Walter Hill subit l'échec commercial de son premier film, Le Bagarreur, avec Charles Bronson dans le rôle-titre. Son producteur, Lawrence Gordon, lui conseille alors d'écrire un "film de braquage", genre qui a le vent en poupe. Hill imagine ainsi le personnage d'un chauffeur surdoué, grassement rémunéré pour sa conduite singulière et ses capacités à semer tous poursuivants aux sirènes hurlantes. Le scénariste-réalisateur y ajoute un flic tenace, une mystérieuse joueuse et des trahisons à gogo au sein d'un univers à 80% nocturne. Des personnages dont les noms ne sont jamais révélés, mettant bien plus en valeur leur prestance et leur langage du corps en lieu et place de portraits psychologiques. Et ici, cette absence sociobiologique fonctionne à plein régime grâce à la délicate écriture de Walter Hill et aux superbes performances du trio d'acteurs (Isabelle Adjani, Ryan O'Neal et Bruce Dern).

À la sortie d'un casino, une jeune joueuse est témoin d'un braquage effectué par deux truands qui parviennent à échapper à la police grâce à l'habileté de leur chauffeur. Ce dernier est néanmoins arrêté le lendemain, mais la jeune femme du casino, lors de la confrontation, soutient qu'il n'est pas l'homme qu'elle a vu. Le chauffeur est relâché tandis qu'un policier, aux méthodes peu orthodoxes, arrête deux petits malfrats qui viennent de braquer un supermarché. En échange de leur liberté, l'homme de loi leur propose de participer à une opération qui lui permettra de piéger le chauffeur…

Si Nicolas Winding Refn a toujours décrété que Driver n'a jamais inspiré son Drive réalisé en 2011, il n'en reste pas moins que Ryan Gosling, lui, s'est glissé dans l'inexpressivité de Ryan O'Neal pour incarner exactement le même type de personnage. Ce jeu inexpressif, Isabelle Adjani l'endosse également de toute sa magnificence, incarnant à merveille cette jeune femme très énigmatique et foncièrement vénale. Un rôle originellement écrit pour Tuesday Weld, mais finalement offert à la célèbre comédienne française suite à la volonté d'EMI, distributeur européen, d'engager une actrice du Vieux Continent. Fasciné par son incarnation d'Adèle Hugo dans le merveilleux film de François Truffaut, Walter Hill propose ainsi le premier rôle nord-américain à Isabelle Adjani qui décréta par la suite "n'avoir rien appris avec ce film".

Quant au policier, flic acharné aux méthodes bien peu scrupuleuses, c'est l'immense Bruce Dern qui l'interprète de toute sa rage, proposant ainsi une antilogie paradoxalement harmonieuse face à ses deux partenaires. Et c'est sûrement cette brillante idée qui fait oublier toute la profondeur psychologique des personnages pour mieux se concentrer sur leur attitude aussi énigmatique qu'envoûtante. Car ici, c'est le pouvoir de l'argent qui prend le dessus. Un univers où l'on se tue pour quelques milliers de dollars, à l'image des bons vieux westerns, mais où chevaux et diligences se voient bien évidemment détrônés par des voitures qui se poursuivent inlassablement dans de virtuoses chorégraphies dignes de celles que l'on connaît dans Bullitt ou encore French Connection.

Prodigieux metteur en scène, Walter Hill s'entoure ici d'une équipe compétente (dont le directeur photo Philip Lathrop) pour magnifier un Los Angeles nocturne en proie d'un insatiable jeu du chat et de la souris entre truands et policiers. Pourtant, Driver reçut une flopée de critiques négatives lors de sa sortie U.S en juillet 1978 et un accueil sans intérêt de la part des spectateurs. C'est en dehors de ses frontières que le film remporta un franc succès (plus d'un million d'entrées en France, par exemple) et permit à ses producteurs et distributeurs d'engranger quelques juteux bénéfices. La Fox proposa alors à Hill de réaliser Alien : Le Huitième Passager. Proposition qu'il refusa pour se consacrer aux Guerriers De La Nuit, qui reste certainement encore aujourd'hui son plus grand film.

Quant à Driver, ce sont les générations suivantes qui le portèrent finalement au pinacle. Aujourd'hui film culte aux États-Unis, il conquiert un vaste public de jeunes cinéphiles qui découvrent ainsi les origines dissimulées, de par leur auteur, mais pourtant criantes de Drive et de Baby Driver.

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le 28 oct. 2024

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