Le raffinement et la virtuosité, ces choses sont-elles forcément des buts à atteindre dans un film ?
L'esthétisme a souvent été remis en cause, parfois pour des raisons morales, cela a été le cas pour la brève critique "De l'abjection" de Jacques Rivette sur le film Kapo, où le travelling est accusé de magnifier le suicide du personnage de Riva dans un camp de concentration.
Rappel : un lien sur l'article de Rivette paru dans les Cahiers du Cinéma en 1961 ; http://www.slate.fr/story/113377/travelling-kapo-rivette-shoah
Mais l'esthétisme peut tout simplement nuire à un film, là où la mise en scène devrait plutôt souligner l'horreur, la douleur ou la crasse. J'ai eu le même problème avec le dernier film de Sam Mendes "1917". Ce film, censé rendre hommage aux soldats de 14-18 selon son générique de fin et les propos du réalisateur, esthétisait sans aucune subtilité la guerre avec des plans virtuoses, dont la fameuse scène de nuit avec de magnifiques jeux de lumières. Sauf que si le but de Mendes était de nous faire ressentir l'horreur de la guerre, le but est totalement raté, parce que la majorité des poilus ont attendu avec les rats dans les tranchées avant de se prendre une balle 10 secondes après l'entrée sur le no man's land. Ce n'était donc ni épique, et ça n'avait rien d'un beau clip.. donc autant aller jusqu'au bout et proposer quelque chose de radical, montrer toute la laideur sans l'esthétiser..
Il faut bien comprendre quelque chose : lorsqu'on vous dit 20 fois qu'un désert est dangereux et que la chaleur peut tout simplement causer votre mort, la moindre des choses est que le film vous le fasse ressentir.
Si c'est pour le dire, autant le mettre sur le papier, et dans ce cas se limiter au roman (que je n'ai pas lu, je préfère le souligner). Le but d'un film de cinéma est que la mise en scène puisse nous faire ressentir l'hostilité de cet endroit.
Et là, nous pouvions attendre Villeneuve au tournant.. Voilà un réalisateur qui sait nous faire ressentir l'hostilité, la dangerosité d'un endroit qui n'est pas connu par le personnage principal ("Incendies", les cartels de "Sicario", l'étrange vaisseau de "Premier Contact") et générer facilement de la tension.
Or là, que voyons-nous dans ce désert? Des publicités pour des parfums... un défilé Dior... C'est beau, en effet, je suis d'accord, mais on ne ressent pas la chaleur de ce désert. Au lieu de les voir agoniser et suer, nous les voyons beaux, fringants. C'est la même chose lors des rêves.
Cette esthétisme trop léchée est également responsable d'une certaine froideur, comme si cette beauté nous mettait à distance. Les personnages sont froids, on peut faire un parallèle avec le cinéma de Nolan : les personnages sont là pour servir le concept, tout est très sérieux et sombre, les personnages sont froids. Le film manque d'humanité, semble manquer d'un bout d'âme.
Après, le film reste plaisant. Nous pouvons y déceler des gimmicks de Villeneuve, des plans réussis sur le baron Harkonnen ou sur la créature, une sorte d'araignée, à un moment du film. Les informations, très nombreuses et complexes, sont données aux spectateurs d'une manière assez claire, ça reste fluide. Mais disons que pour un cinéaste avec une personnalité comme Villeneuve, cela manque par moment d'une patte. Certains moments sont très clichés pour un blockbuster (les répliques du style "et ce n'est que le commencement" sur fond de musique Zimmerienne, ou la mort du père qui se fait sur une petite réplique bien sentie avant la grosse explosion, certains ralentis putassiers également jusque là absents dans la filmographie du cinéaste).
D'ailleurs, parlons de la musique. Elle est infernale. Le film aurait été beaucoup plus agréable et mystérieux si il n'y avait pas cette grosse soupe consensuelle de Hans qui nous coulait dans les oreilles toutes les deux minutes. La musique souligne des choses qui sont déjà claires à l'écran, c'est juste lourdingue et ça n'a aucun intérêt. Quand quelque chose de triste se produit, on sort les violons, quand on voit le désert et les moments de rêves qui font penser à des publicités pour du parfum, on sort une musique typée orientale random avec des vocalises féminines.. Ce n'est ni marquant, ni utile.
J'ai souligné les points négatifs, j'ai peut être été un peu dur. Il faut dire que pour l'instant les avis sont dithyrambiques, pour l'instant les gens y voient un chef d'oeuvre. Je tenais à mettre en avant des choses qui m'ont dérangé. Mais clairement, cela reste bien au-dessus de toute la soupe consensuelle hollywoodienne, si tous les gros blockbusters étaient en moyenne du niveau de ce Dune, ce serait tout de même formidable. Mais voilà, ça manque d'humanité, ça manque d'une âme, ça manque de dangerosité, de crasse, de sueurs.