There has been an awakening… Have you felt it?
Si la simple mention du nom de Villeneuve était en mesure de faire de la nouvelle adaptation cinématographique de l'œuvre de Frank Herbert l'un des projets les plus prometteurs de ces dernières années, il me semble important de souligner, en guise de propos introductifs, l'importance que Dune représente aux yeux du réalisateur canadien.
Afin de replanter le décor, il y a lieu de rappeler que, après avoir fait une entrée fracassante à Hollywood avec Prisoners, Enemy et Sicario, Denis Villeneuve va effectuer ce qui, pour certains, s'apparente à un virage dans sa carrière avec Arrival et Blade Runner 2049, deux films si différents que le seul véritable point commun pouvant être décelé entre ces derniers réside dans leur appartenance au même registre qu'est celui de la science-fiction : alors que l'adaptation de la nouvelle Story of your Life de Ted Chiang, transcendait avec douceur le genre en accordant une importance plus prononcée au réalisme et à la poésie, son dernier film en date a été l'occasion pour le réalisateur de Polytechnique de s'immerger au sein de l'univers emblématique de Philip K. Dick et d'y apporter sa vision en donnant une suite au film de Ridley Scott sorti trente ans plus tôt.
Ainsi, en raison du respect et de la compréhension de la richesse du monde de Rick Deckard dont il a su faire preuve, voir le projet remake de Dune lui être confié ne surprend pas. Bien au contraire, à en croire le principal intéressé, l'ensemble de ses films s'inscrit dans un long processus de maturation et de préparation pour mener à bien son projet le plus ambitieux : adapter sur grand écran l'histoire de la famille Atréides. En effet, son amour pour la science-fiction s'est profondément enraciné dans sa psyché lorsque son regard a croisé celui d'un certain visage sans âge aux yeux bleus alors qu'il n'était qu'un adolescent. Depuis lors, Villeneuve a toujours rêver de faire de la science-fiction et explique, dans cette interview, que, pour être dans les meilleures conditions pour pouvoir s'essayer à cet exercice, il devait, dans un premier temps, réaliser "des films relevant d'autres genres afin d'être le plus proche de la réalité pour ensuite aller plus loin dans le rêve". Ainsi, plus qu'une simple évolution, une réelle cohérence se constate si l'on prend un minimum de recul sur sa filmographie. A titre d'illustration, un rapprochement entre son premier film, un 32 août sur Terre, et Dune peut d'ailleurs être avancé puisque le livre de Frank Herbert a grandement influencé Villeneuve sur la perception qu'il a du désert : ce type de paysage, qui occupe une place centrale dans ces deux histoires, a, selon lui, un réel impact, de par le vide et le silence qui le caractérisent, sur l'âme humaine et qu'il est, pour cette raison, très propice au voyage initiatique et spirituel des protagonistes, qu'il s'agisse d'un couple d'amis ordinaire ou d'un jeune noble d'une lointaine planète. Son immensité et son infinie, lui confère également un aspect intimidant, comme le dit si bien Rebecca Ferguson ("it’s basically Mother Nature engulfing you and going : "you mean nothing"").
Partant, la concrétisation de ce nouveau projet, auquel David Lynch s'était lui-même essayé en 1984, marque le parachèvement d'un vieux rêve qui n'a jamais quitté le canadien. Pour l'anecdote, les repérages effectués en Jordanie pour les besoins d'Incendies lui évoquaient déjà les déserts d'Arrakis, ce qui lui a permis, sans le savoir vraiment, de gagner du temps dans la mise en œuvre de Dune. Car oui, Villeneuve n'est pas partisan des écrans verts et souhaite offrir le plus de réel possible afin d'avoir une authenticité à travers la présence et d'embellir l'âme du film et très clairement, on ne peut que lui être reconnaissant car l’objet cinématographique qui nous est offert est tout simplement vertigineux : si une certaine longueur peut être ressentie, notamment en raison d’une narration qui peut manquer de fluidité, voire même de consistance, au niveau du développement des protagonistes qui sont introduits et avec lequel le spectateur, pour un grand nombre d’entre eux, dispose d’un laps de temps très court (et même insuffisant) pour s’y attacher, il apparaît difficilement concevable d’être en mesure de rester indifférent face à la puissance des images et à l’intensité soutenue qu’elles procurent sur toute la durée du métrage. L’action en tant que telle s’avère, somme toute, classique puisque cette première partie est une exposition qui vise à poser de solides bases pour la suite mais cela ne l’empêche pas d’offrir des séquences spectaculaires et saisissantes. A l’instar du soin accordé aux costumes et à la conception des décors, le score enivrant d’Hans Zimmer contribue lui aussi, bien entendu, à l’embellissement de l’aura du film, même s’il peut lui être reproché d’être, par moment, trop envahissant.
L’autre force du film réside dans le fait que Villeneuve s’est entouré d’un casting prestigieux, bien qu’il pourrait lui être reproché de ne pas avoir pris trop de risque à ce niveau, la distribution comprenant les figures de la nouvelle génération d’étoiles montantes. Rebecca Ferguson est, sans conteste, celle qui arrive à tirer son épingle du jeu. Cela s’explique par le fait qu’elle y incarne le personnage qui, très vite, attise la curiosité du spectateur. Les autres acteurs s’en sortent convenablement mais, comme évoqué ci-avant, souffrent d’un temps de présence trop limité. La manière dont le film expédie sans ménagement certaines têtes d’affiche rappelle d’ailleurs fortement Game of Thrones. Outre les jeux de pouvoirs, les trahisons et autres histoires de famille avec lequel les amateurs de la série HBO sont familiers, Dune comporte également un volet écologique (et même prophétique) qui n’est pas sans rappeler Nausicaa de la Vallée du Vent, ce qui permet, d’une certaine façon, pour le spectateur d’aujourd’hui qui découvre l’univers de Frank Herbert, de ne pas être perdu et de se retrouver en terres plus ou moins connues. Cela ne surprendra pas étant donné l’influence considérable qu’a eu, à travers les années, la saga littéraire (et même le projet impossible de Jodoworsky) sur la science-fiction, entendu dans le sens large du terme. Le pari de d’adapter un tel monument ne va donc pas sans risque (dans le même registre, le Valerian and the City of a Thousand Planets de Luc Besson peut être ici mentionné) et le souhait de Villeneuve de le faire en deux parties s’avère avoir été un choix particulièrement judicieux puisqu’il permet de ne pas assommer le spectateur novice avec un trop plein d’informations et d’exposer le contexte de manière relativement claire, en recourant à des procédés qui peuvent toutefois manquer de subtilité.
En somme, il apparaît peu pertinent de s’attarder plus en détail sur le fond, ce premier volet étant, avant tout, une expérience, à la fois visuelle et sonore, envoûtante et captivante, qui s’inscrit pleinement dans le sillage cinématographique tracé par Denis Villeneuve et qui jouit d’une intensité rarement égalée, tout en faisant office de rampe de lancement pour (au moins) une suite. Le temps nous dira de quelle manière se poursuivra le voyage mais, pour l’heure, Dune est un film revigorant qui retranscrit au mieux le pouvoir du cinéma ! 8,5/10 !