Le cinéma regorge d'adaptations de romans appauvries ou massacrées. Il n'est besoin que de se rappeler La stratégie Ender, bijou de S-f immolé sur l'autel du simplisme visuel. Plus rares sont les illustrations de récits parfaitement retranscrites. Dune de Denis Villeneuve est de ces joyaux extirpé de sa gangue.
Dune, c'est un monstre sacré de la littérature S-f, au sommet de mon panthéon livresque personnel. Publiée par Franck Herbert en 1965, un écrivain dont l'œuvre est une claque intellectuelle, c'est une histoire inachevée constituée de 6 tomes dont l'histoire s'étire sur des dizaines de milliers d'années. D'une actualité brûlante, il y est déjà question d'écologie, de géopolitique, de luttes de pouvoir, de monopole sur un psychotrope extrêmement précieux, de guerre sainte.
Denis Villeneuve a décidé de mettre en images un ensemble de concepts qui paraissaient ne pas pouvoir être retranscrits dans le 7ème art. Il traite ici de la première moitié du premier tome, celle qui voit les Atréides, une puissante dynastie de l'univers humain, devenir, sur l'ordre de l'empereur, les gestionnaires d'Arrakis, planète précieuse, en lieu et place des Harkonnen, autre famille influente qui jusque-là s'enrichissait plus que de raison sur le dos de la planète de sable. Dans un univers aussi foisonnant de concepts, d'entités politiques, de personnages emblématiques (le roman compte pas moins de 20 pages de lexique !), le réalisateur parvient à réussir le tour de force de mettre une bonne partie de tout cela dans son œuvre, par touches successives, immergeant ainsi le spectateur dans ce monde singulier.
Le fond et la forme s'accordent ici à merveille, le sens de l'esthétique de Denis Villeneuve permettant d'atteindre une véritable osmose créative, à l'instar de son Blade Runner 2049. Si les interprètent incarnent parfaitement leurs rôles respectifs, les choix esthétiques des vaisseaux, architectures et costumes sont impressionnants de réalisme. Et que dire du principal acteur de ce drame galactique, le désert ? Hypnotique ! Si l'épice permet à celles et ceux qui en usent avec maîtrise de développer des capacités extraordinaires, il fera halluciner le spectateur devant la beauté renversante de cet erg éblouissant, de ces regs salvateurs, îlots de survie face au courroux du maître des sables, le faiseur d'épice.
Quel bonheur de pouvoir suivre un récit qui prend le temps de poser ses protagonistes, de développer des situations émouvantes ou dramatiques, loin des sursauts épileptiques des blockbusters ivres de vacuité où seule l'image compte ! Denis Villeneuve offre pourtant une histoire d'une beauté époustouflante qui, sans jamais occulter le fond, présente une succession de tableaux qui ne dépareraient pas dans un musée. L'ocre brun des formes rocheuses torturées, l'épure des vaisseaux spatiaux, le contraste des yeux azurés d'épice de Chani avec le jaune de son environnement, les ondulations de sable formées par le passage des Shai-Hulud en maraude, tout cet ensemble de moments forment un tout cohérent d'une puissance évocatrice rare.
Si l'on ajoute la musique entêtante d'Hans Zimmer dont les échos font vibrer nos tripes en cadence des images, tout est réuni pour un spectacle inoubliable.
Au terme de plus de deux heures de jouissance cinématographique pure qui ont glissé avec fluidité comme le silice dans son sablier, je me surprends à espérer que cette œuvre artistique majeure saura rencontrer son public afin que le réalisateur et son équipe puissent adapter aussi merveilleusement la seconde moitié du premier roman de Dune.
Edit : revu en VO, c'est encore plus fort en émotions. Un chef d'œuvre de s-f en fait.