On le sait depuis au moins Star Wars VII, les films de SF de ces dernières années peuvent être, d'un point de vue graphique, terriblement réussis. Ce premier constat établi, si on ajoute au projet de Villeneuve ce qui a cruellement manqué à l'entreprise sans direction de Abrams et consorts, à savoir une véritable histoire, on se dit que les plus grosses difficultés sont déjà derrière le réalisateur canadien avant même le premier plan tourné: ça sera beau et structuré, et ce n'est déjà pas rien.
Reste à savoir si le film sera traversé par une émotion, un souffle qui sera autre chose qu'une vilaine tempête du désert.
Parce que si la série de romans de Frank Herbert a longtemps (toujours ?) été considérée comme inadaptable, ce n'est pas sans raison, et les réussites éclatantes de la version de Villeneuve passent parfois sous l'ombre des fulgurances de Lynch ou les impasses -nécessaires- de l'adaptation.
Au plaisir immédiat et évident de se voir proposer un blockbuster à grand spectacle enfin pas exclusivement destiné aux ados qui ne veulent faire aucun effort, viennent dans les heures qui suivent la projection les raisons de tempérer un premier enthousiasme compréhensible.
Une partie des problèmes de cette nouvelle adaptation est contenue dans sa proposition visuelle. L'entreprise 2021 est marquée par une maîtrise globale (de l'intégration des effets spéciaux, de sa photo, de ses teintes et de son utilisation des espaces naturels) qui finalement atténue et presque asphyxie ce que le film aurait finalement dû être: privé de ses fulgurances nécessaires (pour le coup présentes dans la version de Lynch), l'imperium galactique perd une part de la démesure qui devrait le rendre tangible.
(comment oublier les membres de la guilde galactique du film de 1984 ? Le look des membres du Bene Gesserit ? Le malaise provoqué par les Harkonens ?)
Curieusement, l'idée d'adapter le premier tome de la Saga Herbertienne en deux films laissait également espérer que la complexité de son univers soit mieux respectée. Comment dans ces conditions comprendre que l'empereur Shaddam IV et la guilde soient à ce point éclipsés alors qu'ils sont précisément au cœur de l'intrigue, tout comme les effets de l'épice, réduits ici à un vague psychotrope local, dont on évacue l'importance stratégique en une phrase lapidaire ?
C'est d'autant plus décevant que les bonnes idées ne manquent pas. Du design des vaisseaux (très chouettes ornis) à la mise en place posée des enjeux, d'une proposition de prophétie enfin élaborée (elle est préparée par une religion, fruit du non-respect d'une règle et surtout redoutée par son supposé bénéficiaire) aux intérieurs superbement composés, le film régale régulièrement l'admirateur du roman.
Les inquiétudes demeurent cependant pour la suite, surtout lorsqu'on constate le manque d'épaisseur spirituelle qui semblent habiter les Fremen qui accueillent Paul comme un imposteur sans avenir, quelques secondes seulement après avoir pourtant subjugué un vers des sables sous leurs yeux. L'oblitération (venue de la peur qui a tué en partie l'esprit de Villeneuve ?) du versant politique de l'intrigue pourrait conduire à un sacré ensilage du deuxième volet, menacé à disparaitre dans un sietch oublié.
En attendant le chapitre II qui, s'il voit le jour, permettra d'apprécier l'effort de Villeneuve dans son ensemble et juger de sa cohérence globale, on peut presque se réjouir à l'idée que l'adaptation parfaite reste à faire, qui pourrait combiner -entre autres, mais pas seulement- les réussites des deux premières tentatives.
Décidément, et malgré de superbes progrès technologiques, les sables d'Arrakis ont toujours besoin des pages de son roman original pour pouvoir être traversés sans encombre et livrer le cœur de leurs secrets.