Après s'être fait connaître grâce à plusieurs longs métrages, en particulier le très bon Premier Contact, Denis Villeneuve s'est attaqué à un autre monument de la science-fiction, Blade Runner 2049, la suite du film de Ridley Scott que j'avais d'ailleurs trouvé très bon. Alors forcément, lorsque j'ai appris que le réalisateur se lançait dans l'adaptation de Dune, j'étais plutôt content. Parmi tous les metteurs en scène possibles, c'est celui auquel je n'avais pas du tout pensé. Mieux encore, au fil de l'avancement du projet, il n'a pris que de bonnes décisions. Une des premières a été d'annoncer qu'il commencerait par relire les livres, puis que l'adaptation serait divisée en deux parties. Compte tenu de la richesse du roman de Frank Herbert, c'est un choix plutôt judicieux, mais aussi risqué, car si le premier film échoue, peu de chances de voir le second. D'un autre côté, même si c'est la solution que j'aurais préférée, les exploitants de salles et les producteurs n'auraient sans doute pas aimé se retrouver avec un seul long métrage de 4 ou 5 heures. Quant au casting, j'avoue qu'il m'a parfois un peu surpris, mais dans l'ensemble, il était déjà très convaincant. Bref, tout cela pour dire que Dune était ma plus grosse attente de l'année 2020 puis 2021 aussi.
Mais avant d'aborder le cœur de ma critique, je tiens à être très clair sur un point. D'un point de vue purement cinématographique, cette première partie de Dune est un très bon film, à condition bien entendu d'apprécier le style assez réaliste et le rythme plutôt posé, mais maîtrisé, de Denis Villeneuve. Sans jamais trop en faire, le réalisateur nous propose une mise en scène grandiose, avec des plans parfois juste magnifiques, le tout saupoudré par une musique composée par Hans Zimmer. Même si je l’ai trouvé moins flamboyante et audacieuse que la bande originale de Dune Sketchbook sortie un peu avant le film.
Sauf que le fan de Dune que je suis a été un petit peu déçu par le choix fait par Denis Villeneuve et ses scénaristes de réduire drastiquement l'univers de Frank Herbert pour se concentrer sur l'essentiel : l'histoire de Paul. De prime abord, Dune semble donc se limiter à un univers futuriste dans lequel s'affrontent des maisons rivales, un empereur qui veut se débarrasser d'un opposant devenu gênant, le tout sur une planète désertique d'une importance capitale en raison de la ressource vitale qui s'y trouve. À cela viennent vaguement s'ajouter l'influence du Bene Gesserit, ainsi que de la Guilde Spatiale. Malheureusement, vous pouvez oublier tout le reste, ou presque. Oublier ce qui a fait de Dune un univers aussi riche que particulier, dans lequel un grand nombre de thèmes sont abordés, comme l'écologie ou les dangers du pouvoir. Comment fonctionne l’Imperium ? Qu'est-ce que la CHOM ? Qu'est-ce qu'est exactement la Guilde Spatiale ? Que sont les Mentats, présent à l'écran mais jamais mentionné ? Pourquoi Duncan Idaho et Gurney Halleck sont considérés comme de redoutables guerriers et partagent une haine viscérale pour les Harkonnens ? Pourquoi les Harkonnens sont-ils des ennemis mortels des Atréides ? En quoi la trahison du docteur Yueh est-elle censée être si inattendue ? Où est la séquence des serpillières pleines d'eau jetées au sol devant le palais ? Où sont les doutes de l'entourage du Duc Leto vis-à-vis de Dame Jessica ? Et surtout, où est l’évènement fondamental de l'univers de Dune : le Djihad Butlérien, ou la grande révolte contre les machines pensantes ? Autant de questions, et bien d'autres encore, auxquelles je ne vais pas répondre, ne serait-ce que pour vous inciter à lire au moins le premier tome du cycle de Dune de Frank Herbert.
Néanmoins, il est vrai que certains éléments sont plus de l'ordre du détail, que l'on peut tout à fait retirer de l'histoire principale dans l'optique d'une adaptation cinématographique, mais d'autres sont quand même très importants ou narrativement intéressants. Pour illustrer mon propos, je vais prendre un exemple simple : le Docteur Yueh. Dans l'univers de Dune, il faut savoir que les Docteurs Suk subissent un endoctrinement impérial qui les empêche de faire du mal à leurs patients. Plus concrètement, c'est comme si on insérait au plus profond de leur esprit le serment d'Hippocrate. Par conséquent, Wellington Yueh jouit d'une confiance totale de la famille Atréide, à plus forte raison qu'il déteste lui aussi les Harkonnens. Or, le Baron parvient à le manipuler en capturant sa femme et probablement en le persuadant de simplement lui livrer les Atréides sans pour autant leur faire directement du mal. Dès lors, dans le roman, la trahison du Docteur Yueh et ne se limite pas juste à son acte et à sa volonté de sauver sa compagne, d'autant plus qu'il est tout à fait lucide sur le fait qu'elle est vraisemblablement déjà morte. Mais je ne doute pas que certaines choses seront expliquées dans la seconde partie, comme le cycle de l’Epice.
Quoi qu'il en soit, je suis bien conscient qu'il s'agit d'un choix artistique et cinématographique, et sans doute également commercial, il ne faut pas se le cacher. D'autant que même si de nombreux éléments ont été écartés, Denis Villeneuve ne renie pas pour autant l'univers original. Ainsi, le néophyte qui découvre Dune n'aura pas l'impression de passer à côté de quelque chose ; au mieux, il aura la sensation que l'univers du film est bien plus vaste, attisant ainsi sa curiosité et le poussant, pourquoi pas, à lire le roman de Frank Herbert. Tandis que les initiés n'auront aucun mal à combler les manques. Quitte a tout de même regretter l’absence de certains éléments importants.
Et l'air de rien, c'est sans doute un exercice plus difficile qu'il n'y paraît. Après tout, l'une des critiques faites à la première adaptation de David Lynch était qu'elle était à la fois trop complexe pour plaire aux nouveaux venus et trop peu incomplète pour convenir aux connaisseurs. De plus, il aurait été facile de totalement modifier l'univers de Dune pour qu'il corresponde mieux aux standards actuels des films de science-fiction. Si le Djihad Butlérien et ses conséquences ne nous sont mentionnés nulle part, on ne voit cependant pas de robots, d'intelligence artificielle ou même d'ordinateurs sophistiqués. Bien que la technologie de Dune semble assez avancée, elle n'en demeure pas moins parfois quelque peu rustique. Par ailleurs, Denis Villeneuve s'est bien gardé de mettre des hologrammes partout. Les seuls appareils s'en approchant sont les livres aux bobines, et j'adore l'idée qu'il a eue d'en faire des mini-vidéoprojecteurs.
D'une façon plus générale, j'aime beaucoup la direction artistique du film qui s'accorde tout à fait avec l'esprit de Denis Villeneuve, qui nous dépeint visuellement un univers à la fois futuriste mais réaliste, tout en restant fidèle à l'ambiance du roman. Ainsi, les engins spatiaux ne sont pas colorés, mais leur design est occasionnellement original, tout en demeurant crédible. Les ornithoptères, quant à eux, correspondent bien à ces engins semblables à des insectes décrits dans le livre. Même chose du côté des costumes, avec parfois quelques extravagances. Par exemple, le jardinier du palais porte un grand chapeau à la forme plutôt inattendue, mais tout à fait cohérente avec la chaleur infernale qui règne sur Arrakis. On est loin de ce qu'avait imaginé l'équipe artistique de l'extravagant projet de Jodorowsky.
Mais avant de conclure, j'aimerais revenir sur la polémique liée au personnage de Liet-Kynes. Concrètement, pour ceux qui l'ignoreraient, dans le roman, c'est un personnage masculin qui est devenu un personnage féminin et de couleur dans le film. Personnellement, cela ne m'a pas franchement gêné, d'une part parce que je trouve que c'est une excellente idée d'avoir voulu varier les races des acteurs pour incarner les différents personnages, surtout quand cela est justifié par leur environnement, comme les Fremen qui vivent sur une planète aride, ou leur comportement comme la manière dont le Docteur Yueh ausculte ses patients. Le choix du sexe peut cependant être sujet à débat. Après tout, dans le roman et ses suites, les hommes sont destinés à devenir des tyrans ou à échouer, et à défaut de devenir un tyran, Kynes va en quelque sorte échouer dans son projet, qui n'a pas encore été dévoilé dans cette première partie. Mais est-ce vraiment important que le personnage soit un homme ou une femme ? Pour ma part, je n'en suis pas persuadé. En effet, son rôle peut tout aussi bien être tenu par un homme que par une femme, sans que cela ne change pas son statut, que ce soit sa position dans la hiérarchie Fremen, son lien avec Chani, ou encore sa fonction au sein de l'Imperium.
Il n'en reste pas moins que c'est le plus gros bouleversement du film, et ce qui m'ennuie vraiment c'est la justification de ce choix. Selon Jon Spaihts, l'un des scénaristes, Kynes est devenu un personnage féminin parce que le roman a été jugé trop sexiste. Pour dire une telle bêtise, il faut vraiment ne pas avoir lu le livre ou ne pas l'avoir compris, ce qui est quand même censé être le travail d'un scénariste qui adapte une œuvre littéraire. Certes, l'Imperium ressemble à un système féodal futuriste dans lequel la place de la femme semble moins importante que celle de l'homme. Sauf que ce n'est qu'une apparence. Dans l'univers de Dune, les femmes ont beaucoup plus de pouvoir qu'on ne le croit, comme l'illustre parfaitement l'Ordre du Bene Gesserit. Ceci étant dit, quand on simplifie à l'extrême l'histoire originale pour n'en garder que l'essentiel, je peux comprendre qu'on ait l'impression que le résultat final manque de femmes fortes. Mais à ce moment-là, le problème vient du scénario et non du roman de Frank Herbert, auquel sa femme Beverly a également beaucoup participé, il faut le souligner.
En conclusion, cette première partie de la seconde adaptation cinématographique du roman de Frank Herbert est tout simplement une nouvelle façon de raconter l'histoire de Dune par Denis Villeneuve. Il en résulte un très bon film qui va à l'essentiel sans pour autant trahir l'œuvre d'origine. Les initiés regretteront sans doute une simplification trop importante de l'univers, mais cela a au moins le mérite de permettre au plus grand nombre de découvrir sans difficulté cet univers riche et complexe.