Dès 1971, soit six ans après la parution Dune de Frank Herbert, le producteur américain Arthur P. Jacobs prend une option sur le roman. Il prévoit d'en confier la mise en scène à David Lean. À juste titre, il estime que le caractère romanesque et épique du livre, le destin de Paul Atréides, et bien sûr la présence écrasante du désert, pourraient convenir à l'homme à qui l'on doit le grand Lawrence of Arabia. De plus, de nombreux autres éléments apparaissent parfaitement en phase avec certaines préoccupations contemporaines (écologie, drogue, spiritualité, anti-impérialisme). Malheureusement, Jacobs décède deux ans plus tard et stoppe naturellement le développement.
En 1975, les droits sont acquis par un consortium français et le producteur français Michel Seydoux fait appel au cinéaste chilien Alejandro Jodorowsky qui établit alors une liste de personnes avec lesquelles il veut travailler sur ce projet : le dessinateur de bande dessinée Jean Giraud, le spécialiste des effets spéciaux Dan O'Bannon, l'artiste suisse Hans Ruedi Giger et l'illustrateur Chris Foss. Côté acteurs, Jodorowsky envisage Mick Jagger, Orson Welles, Salvador Dali, David Carradine, Amanda Lear, ainsi que son propre fils, Brontis Jodorowsky. Il parvient par ailleurs à un accord avec les groupes Pink Floyd et Magma pour composer la musique du film. De nombreux dessins préparatoires sont alors créés en parallèle du script. Une bible volumineuse est conçue pour démarcher les studios qui apprécient le projet, mais pas le choix de Jodorowsky en tant que réalisateur. Michel Seydoux expliquera même que selon les studios, tout était génial sauf le metteur en scène. Cela marquera l'arrêt du projet.
Le projet est repris par le producteur Dino De Laurentiis, qui rachète les droits en 1976. Il demande à l'auteur Frank Herbert d'écrire lui-même le scénario d'après son œuvre et celui-ci livre un script d'un film de trois heures. Le poste de réalisateur est ensuite confié à Ridley Scott, tout juste auréolé du succès de Alien. Après sept mois de travail, Ridley Scott apprend le décès tragique de son frère aîné et demande à tourner rapidement afin d'oublier sa tristesse. Comme le projet avance trop lentement, il se désiste.
En 1981, alors que les droits sont sur le point d'expirer, De Laurentiis les renégocie avec l'auteur et inclut les suites du roman. Sa fille, Raffaella, décide ensuite d'engager David Lynch comme réalisateur, séduite par son film The Elephant Man. Peu intéressé par la science-fiction, Lynch vient alors de refuser l'offre de George Lucas pour tourner un épisode de la saga Star Wars. Mais intrigué par l'univers de Frank Herbert, il accepte de faire l’adaptation du roman et travaille sur le script pendant plus d'un an avec ses co-scénaristes de The Elephant Man : Eric Bergren et Christopher De Vore. À la suite de différends créatifs, Lynch finit l'écriture seul.
Dune de David Lynch sort en 1984 et c’est un échec, critique et commercial.
David Lynch livre un premier montage de plus de trois heures, mais il doit réduire son montage à trois heures. Les producteurs souhaitent une version plus exploitable en salles d'environ deux heures. Le studio espère obtenir une franchise populaire de science-fiction pour concurrencer la saga Star Wars. De Laurentiis et sa fille Raffaella procèdent alors à de nombreuses coupes. Des scènes supplémentaires sont tournées et une voix off ainsi qu'une introduction par le personnage de la princesse sont ajoutées.
Une autre version est montée pour sa diffusion à la télévision (avec notamment une introduction détaillée) ; celle-ci a été reniée par David Lynch qui exige que son nom soit retiré des crédits du générique de cette version pour être remplacé par le pseudonyme de Alan Smithee en tant que réalisateur et celui de Judas Booth en tant que scénariste. Judas étant le nom de l’apôtre qui a trahi Jésus et Booth étant le nom de famille de l’assassin de Abraham Lincoln ; Lynch insinuait ainsi que la production avait trahi et tué son film.
De là, à toujours dire que c’est vraiment un film de David Lynch…
Évidemment, la richesse et la profondeur du roman se voient inévitablement simplifiées. Néanmoins la lecture proposée par David Lynch témoigne de sa compréhension, sa sensibilité et ses efforts pour être le plus fidèle à l'œuvre et le plus inspiré sur l'écran. De nombreux aspects du roman tout de même essentiels sont cependant trop vite expédiés. On peut légitimement le regretter, mais il faut là encore accepter qu'une adaptation cinématographique ne puisse que toucher du bout des doigts la complexité d'une œuvre telle que celle de Frank Herbert.
En sus des raccourcis et omissions, David Lynch s'autorise d'intéressants ajouts et modifications qui expriment une volonté de s'accaparer la commande. Son script n'est pas avare en bizarreries lynchiennes, ces détails et visions imprévisibles et inquiétants qui enrichissent le terreau de ses films. On pourrait citer les costumes tendance cuir et vapeur qui d'entrée de jeu donnent le ton, mais aussi l'étrange antidote à base de chat à traire, ou la présence de nains lors d'une scène où un bovidé bandé est dépecé les quatre fers en l'air. Figure déjà ignoble dans le roman, machiavélique et perverse, le Baron Harkonnen crée dès sa première apparition une ambiance trouble et malsaine qui effraient et fascinent à la fois.
Pour répondre à l'ambition et à sa conception du projet, David Lynch est parvenu à réunir autour de lui un casting aussi classieux qu'hétéroclite. José Ferrer, rescapé de Lawrence of Arabia, est couronné Empereur Padishah. Patrick Stewart endosse l'uniforme de Gurney Halleck. À peine plus présent, Sting dégage quant à lui un puissant charisme, d'autant plus chargé en érotisme qu'il nous est souvent montré du point de vue concupiscent du Baron. Telles des figures tutélaires pour Paul Atréides, la distribution est complété par Freddie Jones, qui jouait l'atroce forain de The Elephant Man, et Jack Nance, l'inoubliable protagoniste de Eraserhead, ici en Harkonnen muet dont on ne saisit jamais vraiment l'utilité. Cela ne sont que des exemples parmi d’autres de l’énorme casting que compose ce film.
Âgé de 24 ans, Kyle MacLachlan fait ici ses débuts à l'écran, devenant pour quelques films encore l'alter ego de son réalisateur. Même si il est plus vieux que ce que demande le rôle (dans le roman, Paul Atréides a 15 ans), son visage incarne parfaitement ce mélange d'enfance encore modelable et de détermination souveraine qui caractérise le personnage.
David Lynch va jouer sur l'insolite en imposant à ses acteurs un jeu décalé. La civilisation décrite est en effet déjà bien éloignée de la nôtre. Le rapport à soi et aux autres détermine un port et une diction marqués par les usages, ce qui se traduit par une économie de mouvements et des déclamations sentencieuses. L'emploi assez fréquent de la voix off crée une curieuse atmosphère qui s'efforce de rendre familier ce monde où l'on peut pénétrer les pensées des autres, capacité que possèdent ceux qui ont suivi l'enseignement Bene Gesserit. Ce procédé risqué, jugé comme une facilité est un choix des producteurs, je le rappel.
Tout aussi fondamental dans la réussite du projet, le département des effets spéciaux doit parfaire l'illusion et permettre à ce monde de s'animer à l'écran. Le rendu n’est pas du tout à mon goût, autant pour la technique que la direction artistique. Par contre, les Vers des Sables sont de superbes créations, absolument convaincants, aux mouvements très réalistes et toujours filmés sous des angles pensés pour les rendre plus massifs.
La musique du groupe Toto est quant à elle plaquée sans aucun respect des thèmes, transformée ainsi en tapis sonore et c’est dommage. Des effets de montage s'autorisent la récupération intempestive de bouts de plan sans aucun rapport avec leur contexte d'origine. Les séquences de vaisseaux spatiaux se voient ainsi surexploitées, raccordées avec des gros plans de personnages censés être à bord. Le pire étant sans doute atteint lors des scènes de batailles, où ces effets semblent vouloir multiplier le nombre de combattants en réutilisant les mêmes plans de figurants en action, rendant le montage encore plus joyeusement confus qu'il ne l'était à la base.
Il est peu probable que David Lynch accepte de venir retravailler sur ce film maudit pour en proposer son véritable director's cut. Depuis 1984, le Cycle de Dune a continué de s'étoffer sous la plume de Frank Herbert puis, après sa mort, sous celle de son fils. Pour l’heure, malgré les qualités de David Lynch en metteur en scène, il est difficile de s’attacher totalement à (son) Dune tant l’œuvre paraît batarde.