Dès les premières images, on comprends de quoi il s'agit : vivre. Ou plutôt survivre. Sans poème.
Pas question de traîner, de s'arrêter pour prêter main forte à quelque blessé, si ce n'est parce qu'il pourra peut-être nous permettre de monter à bord. Si on peut pousser quelqu'un par dessus bord grâce à un bon prétexte, on le fait. On sauve sa peau. Tant pis pour les soldats qui se noient. Tant pis pour les français qui nous achètent du temps avec leur sang. Ce qui compte, c'est de survivre. Le reste n'est même pas secondaire ; il n'est pas.
Les armées française et britanniques sont en déroute. Que dis-je ? Elles essuient un désastre. Plus d'officiers supérieurs, plus de plan de bataille, plus d'avions. On n'essaie même pas d'éviter de se faire botter les fesses ; on essaie seulement de sauver sa peau (des fesses) autant que faire se peut, en étant conscient que ça fera mal de toute façon. L'essentiel est que ça ne fasse pas trop mal.
Sans compter que pendant ce temps, les allemands lancent avions et U-Boots dans la Manche. Des bateaux explosent. Des soldats se noient quand ils ne sont pas hachés par les tirs de mitrailleuse ou par les bombes. Pas de quartier : les infirmières et les blessés sont aussi exposés que les autres.
Dunkerque, c'est l'histoire d'un désastre. C'est le Jour-le-plus-long à l'envers. C'est le moment le plus sombre de la Guerre. Les alliés ont été battus à plate couture ; les divisions blindées allemandes foncent à la curée. On a tout perdu et on tente d'en perdre le moins possible. Pour la gloire de Henri Fonda menant ses troupes à l'assaut des plages de Normandie, vous repasserez. Il n'y a plus que le fer, le feu, sans espoir de succès. On n'est même pas aux Thermopyles, on l'on savait qu'on allait crever, mais où on voulait quand même sauver l'honneur. Ici, c'est la guerre moderne. Il n'y a plus d'honneur à sauver, juste quelques sacs de peaux. Et encore, rien n'est moins sur.
De ce point de vue, la réalisation de Nolan est parfaite. Enfin le réalisateur abandonne cette vilaine casserole qu'il traînait depuis tous ses films : cette manie de tout raconter via des dialogues. Ici, des dialogues, vous en aurez très peu. Certains personnages principaux n'en prononcent pratiquement pas de tout le film. De plus, Nolan fait monter la tension par de simples trouvailles visuelles ou sonores. Des balles qui transpercent une coque. Le bruit des Stukas. L'ombre d'un avion menaçant. Le tout pour souligner une chose : le désespoir.
Eh bien oui. En fin de compte, il n'y a plus que ça. Il semble que tout soit perdu. La première heure de film n'est que bateaux coulés, noyades, et hachage de soldats à la mitrailleuse. Arrivé à la fin de cette première heure, le spectateur doit se l'admettre : il n'y a aucun espoir à attendre. Rien qu'un profond, tenace et imbattable désespoir. Le même qui devait animer les soldats alliés coincés sur cette plage. Rien que le désespoir.
Enfin presque...
Car Dunkerque, c'est aussi l'histoire d'un miracle. L'espoir qui jaillit, timide mais bel et bien présent, dans les ténèbres. On a perdu, mais on a réussi à en sauver le plus possible.
De ce point de vue, on peut dire de la bataille de Dunkerque ce qu'on a dit de l'histoire d'Appolo 13 : c'est un échec réussi. On n'a pas pu aller sur la Lune, mais on a sauvé tout le monde. On a perdu la bataille de France, mais on a sauvé l'armée anglaise. Churchill voulait 30.000 hommes. In fine, il en a obtenu dix fois plus.
Grâce au dévouement des civils, à l’héroïsme de l'aviation, au sacrifice de certains, on pourra en sauver des dizaines de milliers. On a perdu la première manche, mais par ce sauvetage littéralement miraculeux, on pourra se préparer à gagner la seconde.
Par ailleurs, en parlant de miracle, il n'est pas interdit de voir dans ce film une dimension religieuse, revendiquée du reste par Nolan. C'est sans doute une première dans son cinéma soit dit en passant. Comme il l'a admis lui-même, Dunkerque est un nouveau passage de la Mer rouge. On attend l'aide de Dieu ; et Dieu finit par se manifester. Sauf qu'ici, il troque la fente des eaux du bateau mosaïque contre celle des bateaux civils anglais. Moins mythologique, mais le symbole reste le même. Dieu (ou ici, la patrie) n'a pas abandonné son peuple.
Et l'espoir, c'est évidemment Winston Churchill ; absent physiquement du film, il est néanmoins présent par ce fameux discours qui, en ces temps particulièrement sombres pour la civilisation occidentale, redonna espoir au peuple anglais et indirectement, à tous ceux qui s'opposaient à la tyrannie. On a perdu, mais on ne se rendra pas. On se battra. On ne se rendra jamais.
C'est là que l'on peut apprécier l'habileté de Nolan. Il a réalisé le film parfait sur cette bataille. Non pas que le film soit particulièrement réaliste (même si on a rarement fait mieux) ; non qu'il soit une œuvre scrupuleusement fidèle sur le plan historique. Mais il a réussi à saisir ce qui faisait la spécificité de cette bataille de Dunkerque : le désespoir d'une part ; le surgissement soudain d'un timide espoir d'autre part. En suivant la vie d'une poignée de personnages, il a fait comprendre au spectateur ce dont il était question à ce moment-là.
Alors certes, tout n'est pas parfait. Le film est un peu trop court. Certains personnages n'ont même pas de nom. Et (petite pique chauviniste), on passe trop vite sur le sort des troupes françaises, sans qui rien n'eut été possible.
Reste qu'on a affaire à un excellent film, qui honore son auteur ainsi que tous ceux qui prirent part à cette opération Dynamo, et auxquels cette œuvre est d'ailleurs dédiée. En plus de signer un bel ouvrage, Nolan aura contribué à rendre hommage aux combattants de Dunkerque et à faire connaître cette bataille à tous ceux qui n'en avaient jamais entendu parler, couvrant ainsi de honte l'Histoire selon l'Education nationale. Pas mal pour un buveur de thé.
Et par conséquent, en sortant d'une séance délicieusement éprouvante, le spectateur, un sourire aux lèvres, le cœur gonflé à bloc se prendra à soupirer en pensant qu'il faudra attendre quelques années pour avoir profiter à nouveau des produits de ce décidément très adroit buveur de thé.