Les beaufs sont routiniers, ils n’aiment pas changer leurs habitudes. Ils commandent toujours la même pizza au restaurant, regarde les mêmes retransmissions de programmes télévisés, et débitent les mêmes conneries et anecdotes à longueur de journée. Pour le choix des vacances c’est pareil, vous ne les ferez pas changer de destination. S’ils sont bien à un endroit, ils y resteront. C’est comme des punaises de lits, on ne s’en débarrasse pas si facilement. Croyez-moi je connais, puisque je gère une résidence hôtelière dans l’est de la France, où les curistes réservent un an à l’avance chaque année pour être sûr de pouvoir profiter du même logement. Ils ont leurs exigences, ils sont butés, ils ont un avis sur tout et si quelque chose vient à perturber leur séjour, ils ne manqueront pas de vous le faire endurer. Dans le fond, on les aime bien quand même. Ce qu’on aime moins, c’est leur fâcheuse manie à absolument tout critiquer, à les entendre raconter que « rien ne va jamais ». Le personnage de Georges Lajoie représente bien le genre de client que je côtoie parfois. Un rôle bouleversant qui a durement marqué la conscience collective, à tel point que son interprète Jean Carmet a toujours été associé à ce personnage antipathique dont il a dut traîner l’ignoble réputation comme un boulet au pied. Dans les rues, les gens l’invectivait, le dévisageait, l’agresser même jusqu’au point d’aller caillasser les vitres de sa propriété. La rançon de « gloire » fût chère payé pour un si maigre cachet, d’ailleurs l’acteur ne s’en remettra jamais, sa belle-fille le décrivant comme une personnalité misanthrope, mélancolique et même despotique. Une preuve s’il en est du pouvoir suggestif du cinéma, les gens n’étant pas toujours capable de différencier la réalité de la fiction.
Encore aujourd’hui, on parle de Dupont Lajoie comme du beauf bien franchouillard, con raciste et ignorant. Le genre à faire de la délation, à balancer des propos médisant, ou à déblatérer sur le compte d'un voisin. C’est le portrait fidèle et abjecte de ce que les femmes appellent communément le « pervers narcissique » notamment dans cette incapacité chronique à se remettre en question. Cela ne l’empêche pas d’être marié et père de famille, ni même d’avoir de bons amis comme les Colin et les Schumacher qu’il retrouve chaque année dans son camping d’été. Les trois familles en sont même devenues les tauliers. Les années passent, et le bord de mer idyllique est désormais envahi par des nouveaux lotissements amenant son lot de faune « indésirables » comme diront certains, en provenance direct d’Afrique du Nord. Une présence importunant surtout George Lajoie qui ne supporte pas voir la fille des Colin être l’objet de convoitise de ces ouvriers maghrébins en boîte de nuit même si cela ne dérange aucunement les parents. La petite Brigitte parlons-en, elle a bien changée en 10 ans, l’adolescente est en passe de devenir une femme. Peut-être n’est ce que dans sa tête mais Georges interprète des signaux ambigus venant de sa part. Lui n’est pas insensible à ses charmes et la voudrait bien pour lui tout seul. Puisqu’elle affiche une attitude totalement décomplexé, peut-être est-ce une invitation à lui passer de la crème solaire dans le dos avant de lui retirer sa petite culotte mouillée ? Il n’y a qu’une seule et unique façon de le savoir et ce qui devait arriver, arrivera fatalement. Les boucs émissaires sont évidemment tous trouvés : c’est la faute aux arabes !
A partir de là, c’est le drame de toute une vie qui va libérer une cascade de résonance en chaîne. Il ne faut pas oublier que les affres de la Guerre d’Algérie sont encore très présentes dans les têtes et il n’en fallait pas plus pour raviver la haine couverte par le racisme « ordinaire ». Quand la tristesse insondable laisse place à la colère d’une famille dévasté à la recherche d’un coupable à blâmer, cela ne peut profiter qu’au vrai responsable qui selon l’adage désigne toujours l’autre du doigt. Et si on ne peut pas condamner d’honnêtes con-citoyens français pour un mot ou un coup plus haut que l’autre sur une bande de maghrébin, même à 10 contre un, on ne peut décemment pas accepter que des bougnoules puissent s’en tirer à si bon compte, fussent-ils « français de papier ». Les ratonnades n’était d’ailleurs pas rare à l’époque, et il était tout à fait convenu de fermer les yeux sur ce genre d’actes délictueux, en atteste d’ailleurs les heurts lors du tournage avec le commando Charles Martel, groupuscule terroriste d’extrême droite. Pour éviter que l’affaire ne fasse trop de bruit, les autorités préfèreront l’enterrer sous le tapis, dans la réalité comme dans la fiction. Le pire, c’est qu’au moment de partir, George s’imaginera pouvoir revenir l’année prochaine comme-ci de rien était, ce à quoi le gérant du camping fermera toute possibilité. S’il échappe aux tribunaux, ses jours seront néanmoins comptés et le frère du bouc émissaire désigné n’aura plus qu’à se faire justice. On imagine sans trop de mal les récupérations politiques derrière. Non seulement le constat dressé par Yves Boisset est amère mais il demeure toujours d’actualité de nos jours. Preuve en est, le film embarrasse toujours autant près d’un demi-siècle après et vu l’évolution des mentalités, les choses ne sont pas prêtes de changer de sitôt.
Si toi aussi tu es un gros frustré qui en a marre de toutes ces conneries, eh bien L’Écran Barge est fait pour toi. Tu y trouveras tout un arsenal de critiques de films subversifs réalisés par des misanthropes qui n’ont pas peur de tirer à balles réelles.