Pour commencer, je pense que je me dois de dire ce qu'est Adrian Lyne pour moi.
Ce réalisateur a eu son heure de gloire dans les années 1980 et la première moitié de la décennie 1990 à travers Flashdance bien sûr, mais aussi par le biais d'une série d’œuvres érotiques balourdes, parfois hystériques, quelquefois misogynes (oh, le brave pauvre homme fragile face à une mante religieuse puissance 10 000 !), datées esthétiquement, où tout est lisse et propret niveau décors et accessoires, avec une psychologie des personnages pour le moins très sommaire et des situations ultra-balisées. Et le pire, c'est que ça se prenait totalement au sérieux, alors que ce qui était diffusé était entièrement con. Donc, je serais en droit de me foutre de la gueule de son cinéma, composé de coquilles vides d'une abyssale stupidité, mais il y a une exception, une belle exception.
Cette dernière s'intitule L'Échelle de Jacob. C'est un film psychologique paranoïaque, poisseux, intense, sans cesse surprenant. Et en conclusion, il y a l'uppercut d'une révélation horrible, d'une profondeur poignante que je n'aurais jamais cru possible de la part de ce qui pour moi, habituellement, un mauvais metteur en scène. Voir un grand réalisateur se planter à une ou deux reprises, on le regrette. Néanmoins, on l'accepte facilement (tant que ça ne se répète pas trop au cours de sa carrière !). Par contre, voir un nul montrant qu'il peut être capable d'atteindre l'excellence, c'est troublant.
J'aurais bien voulu pouvoir claironner qu'Adrian Lyne est un très gros naze du septième art. En tous les cas, cela aurait évité de visionner une de ses purges en ayant à l'esprit la douleur de savoir qu'il aurait pu être au-dessus de tout ça. Oui, parce qu'Eaux profondes est une purge.
Lyne n'avait pas plus fréquenté les plateaux depuis près de vingt ans. Et ça se voit. J'ai eu la sensation d'un monsieur tout juste libéré d'un placard poussiéreux, dans lequel il était coincé durant toute cette durée, avec un costume raidi et tout mité, pour qui rien n'a changé depuis le tout début des années 2000.
Déjà, il est à la totale ramasse pour les technologies scientifiques et numériques. Dans son monde, Internet n'existe pas (non, sérieux, personne ne va sur le net dans ce film !). La criminologie n'a pas fait le moindre progrès, notamment à travers une utilisation de l'ADN encore plus performante. Pour lui, tout ceci se résume juste à Alexa qui diffuse Old Mac Donald Had a Farm et à des SMS qui ont la fâcheuse tendance à se corriger eux-mêmes.
Et puis surtout, il rapporte avec lui tous les codes foireux qui faisaient que tous ses films antérieurs (sauf un, bien sûr !) étaient à chier (mais avec en bonus ici, une preuve embarrassante de son incapacité à évoluer d'un iota !).
Oh, le pauvre homme fragile rongé par la jalousie parce qu'il est la victime d'une mante religieuse puissance 10 000. Bordel, rien ne l'empêche de demander le divorce. Pourquoi il ne se barre pas de cette relation toxique. Ce n'est pas comme s'il éprouvait du plaisir à voir sa chère et tendre épouse s'enfiler des kilomètres de bites sans s'en cacher. Ce n'est pas comme si des instants de bonheur conjugal (pour souligner par la même occasion que Madame n'est pas juste une allumeuse nymphomane 24 heures sur 24 !) se pointaient de temps en temps pour contrebalancer ce malheur. Dans l'adaptation de Michel Deville du même roman de Patricia Highsmith, aussi imparfaite soit-elle (du fait principalement que le suspense et Deville, ça fait deux !), on comprend au moins qu'il y a un jeu pervers dans lequel le cocu y trouve aussi bien son compte que l'infidèle objet de sa flamme.
Autrement, on est dans une communauté, dans un groupe d'ami(e)s ayant l'air de se connaître très bien les uns les autres. Ils soupçonnent l'un des leurs (le personnage principal !) d'être un criminel et tout le monde s'en bat les couilles ou les ovaires (d'ailleurs, leur seule fonction dans l'intrigue, c'est de s'en battre les couilles ou les ovaires !). Oh, tu savais que Victor (c'est le prénom du protagoniste d'après le synopsis !) avait dit qu'il avait tué l'amant de sa femme. Ouais, trop marrant, bon, qu'est-ce que l'on mange. Excepté un (sous-exploité alors qu'il aurait pu apporter une tension tout du long, au lieu d'apparaître sporadiquement, toujours d'une manière à ce qu'il soit réduit à chaque fois à l'état de pétard mouillé ; en cadeau, pour sa dernière scène, on a même le grand-guignolesque le plus antianxiogène du monde !) qui dit tout haut que pour lui, Victor est vraiment un assassin et que l'on devrait s'en préoccuper. Mais tous les autres s'en battent quand même les couilles ou les ovaires. Oh, l'amant de remplacement vient de mourir aussi. Ils s'en battent toujours les couilles ou les ovaires. Euh, la police ? Quoi, la police qui n'aurait pas de difficulté (vu les moyens dont elle dispose aujourd'hui !) à démasquer le coupable ? Elle s'en bat les couilles ou les ovaires aussi. Et, en toute franchise, si le spectateur ou la spectatrice voit que tout le monde s'en bat les couilles ou les ovaires, ben, lui ou elle aussi.
Pour la protagoniste, un coup, elle essaye de se la jouer suave... hein, je te chauffe, je te chauffe, hein... sans raison... un autre coup, elle est énervée, sans raison. Allô, la cohérence, pourquoi êtes-vous absente ?
Pour l'érotisme, c'est un catalogue pathétique des poncifs les plus caricaturaux que l'on puisse imaginer. Un coup, Ana de Armas se penche pour mettre le kiki de Ben Affleck dans sa bouche alors que celui-ci est au volant. Ah oui, à un autre, il faut bien filmer les nichons de la comédienne (ouais, les hommes hétéros et les lesbiennes, on les voit à une reprise, youpi !). Et encore à un autre, elle se rase une jambe n'ayant pas du tout besoin d'être rasée dans sa baignoire.
Bref, cela aurait peut-être fait bander le pauvre mâle frustré à une époque où il n'avait pas grand-chose à se foutre dans le slip, car il n'y avait que les magazines tout en haut des rayons presse du bureau de tabac du coin et le téléfilm de troisième partie de soirée (estampillé avec l'émoustillante pastille rouge signifiant "-16" !) sur M6 sur lequel il tombait comme de par hasard. Aujourd'hui, ça pue le rance. Eh oui, le monde n'est plus le même, papy Adrian. Et réussir à ne pas rendre sensuelle Ana de Armas, bonjour l'"exploit".
Par gentillesse, je préfère m'abstenir d'évoquer la course-poursuite sur la fin qui bat des records de ridicule. Il faut la voir pour que l'on puisse croire son existence possible. Je vous la laisse découvrir par vous-même. Je vous garantis des fous rires involontaires.
Ben Affleck (sûrement choisi pour tenter désespérément de trouver le brillant d'un Gone Girl !) et Ana de Armas (oui, l'actrice incroyablement talentueuse, pétillante, sexy et charismatique qui pique la vedette à tous ses partenaires, même quand elle n'apparaît que dix petites minutes dans un James Bond !) ne peuvent rien faire en conséquence pour sauver le tout du naufrage.
Adrian Lyne aurait mieux fait de rester enfermé dans son placard.