Dans un documentaire franc et fidèle à l’histoire personnelle et sociale d’une des figures phares de la vie culturelle française, François Caillat construit par touches subtiles et éclairées un portait authentique de l’auteur Edouard Louis.
Il n’est jamais aisé de filmer la parole. Or ce Edouard Louis ou la transformation est avant tout un film de parole: à la fois l’auteur de Pour en finir avec Eddy Bellegueule est amené à travailler sur les réminiscences de son parcours dans une réflexion et un discours a posteriori mais c’est aussi un film qui tient parole.
Commençons par cette dernière idée: le documentaire de François Caillat tient parole au sens où il n’essaye pas des subterfuges ou ruses artificielles pour éviter de voir la parole. C’est bien à elle que nous avons affaire, mais pas n’importe laquelle. Celle d’Edouard Louis est l’exacte mimétique de ses livres. Claire, droite, agile, pertinente, elle se met à l’épreuve de sa propre mémoire en permanence, accouchée par la maïeutique de François Caillat.
L’autobiographie comme résistance et esthétique collective
De quoi s’agit-il exactement et de quoi nous parle Edouard Louis convoquant à l’intérieur de son autobiographie filmée un désir de résistance collective et de partage de pensée? L’auteur de Histoire de la violence au théâtre nous invite à méditer sur ce qu’est la re-création d’une vie, sa re-invention contre la violence d’un passé qui ne nous appartient pas( ici naître dans une famille pauvre avec un nom Eddy Bellegueule porteur de marqueurs sociaux durs, vulgaires, prolétaires), contre une identité que le monde dominant nous assigne, contre la force des pseudo-soi que nous aurions à être ou devenir.
Mimer pour être ce que l’on choisit, défaire ce qu’on n’a pas choisi !
Eddy Bellegueule devenu à 21 ans Edouard Louis interroge, décrypte et analyse sous la camera maïeute de Caillat toutes les défaites et fuites qu’il a dû convertir, transformer pour se FAIRE autre. Edouard Louis y fait l’éloge véridique et non-conformiste du mensonge et du mime. Mimer celui qu’on veut devenir, mentir sur ses origines vont participer de cette métamorphose du sujet. De cette aventure de la construction d’une autre vie.
L’originalité du documentaire réside dans la très grande acuité et sobriété de l’exercice de subjectivation auquel se livre Edouard Louis et la dissidence et subversion sous-jacentes, inhérentes à toute sa démarche. Se superposent une grâce du dire et une rage du faire.
Force est de constater que nous observons un jeune homme concentré, tendu, extrêmement calme et posé disséquer à la manière d’un Bourdieu blond comment se manifeste sur les corps, les gestes, les façons de dire, de se vêtir ou de faire tout un système de discrimination et une mécanique oppressive de violence sociale.
Paradigme du transfuge de classe, Edouard Louis en appelle avec sagesse et détermination à ausculter comme il l’a fait lui-même la valeur si peu vraie de notre liberté.
Se sauver et s’accueillir par le théâtre des paroles et des métamorphoses
La liberté est encore le nom d’un dispositif de pouvoir, dit-il. Soyons plutôt dans des rôles, cherchons à constamment se fabriquer, cette création sera plus authentique que nos racines, nos états civils et autres sourires hérités de quels paysages, de quelles enfances. Même le sourire, la diction, la façon d’être se travaille en insoumission à un héritage.
Le documentaire de François Caillat a cette franchise de l’auteur, ce parti-pris de Socrate de prendre le risque de la vérité, cette fameuse parrèsia dont parlait Michel Foucault dans ses derniers cours sur Le courage de la vérité.
Nous avons le sentiment d’assister à cette leçon de courage partagée face caméra, courage qui ne va pas sans une certaine tristesse ou inquiétude, sans un certain malaise et une difficulté.
Il est difficile d’avoir eu honte de soi, difficile d’avoir honte d’avoir eu honte, difficile de se sentir soi en étant autre, il est escarpé de déplacer les impossibles. Cela s’appelle une lutte, une ascèse ou un travail. Un itinéraire spirituel, écrirait Jean Sullivan, prêtre et écrivain.
Le visage grave et lumineux d’Edouard Louis appelle encore tous les chemins de la métamorphose. Nous ne serions pas étonnés de le découvrir dans vingt ans acteur ou prêtre. Rien ne s’oppose à la re-naissance.
La suite sur le Magduciné, interview du réalisateur François Caillat