Au regard de l'argent récolté grâce aux premières aventures de Batman version Tim Burton, on pourrait penser que la Warner Bros déroulerait le tapis rouge au petit gars de Burbank et accepterait de financer n'importe lequel de ses projets. Que nenni ! Peu aguiché par le nouveau délire du wonder boy basé sur un vieux dessin de ce dernier (ils préféreraient le voir s'attaquer directement à Batman Returns), le studio refile le bébé à la 20th Century Fox, donnant ainsi l'occasion au papa de Beetlejuice d'accoucher de son premier chef-d'oeuvre.
Confié à la romancière Caroline Thompson en qui Burton a une entière confiance, le script de Edward Scissorhands mêle diverses influences chères aux deux auteurs, allant du conte folklorique au roman gothique en passant par l'âge d'or du cinéma d'épouvante. S'entrecroisent ainsi les univers de Mary Shelley, de Murnau et des Universal Monsters, le tout saupoudré d'un zeste de romance impossible dans la droite lignée de La belle et la bête.
Pur conte sur pellicule, Edward Scissorhands se réapproprie sans dommage aucun les références citées plus haut, parvenant à raconter sa propre histoire originale. A savoir une touchante ode à la différence, aux freaks en tous genres, rencontre imprévisible entre un être innocent débordant d'amour et un conformisme gerbant directement puisé dans les souvenirs du cinéaste, incarné par une banlieue trop propre pour être honnête, bouffée par la jalousie et les mesquineries.
Superbe livre d'images bénéficiant d'une direction artistique absolument magnifique, achevant de cataloguer le cinéaste comme artiste "gothique" (si cela veut dire quelque chose), Edward Scissorhands puise surtout sa force dans l'émotion qui se dégage de son récit, bouleversante histoire d'amour mort-née, atteignant des sommets grâce à la partition enchanteresse de Danny Elfman et à la qualité de l'interprétation.
Un temps envisagé pour Tom Cruise (que le metteur en scène rencontrera pour la forme), le rôle-titre sera finalement attribué à un Johnny Depp tout simplement parfait, tout en émotion à fleur de peau, et qui trouvera dans ce film à la fois une délivrance artistique (lui qui était prisonnier de son image de beau gosse issu de la télévision) et une amitié durable avec un autre écorché vif. Du reste de la distribution, on retiendra l'aura angélique de Winona Ryder (compensant un peu une caractérisation un peu bancale), la bonté de Dianne Wiest et surtout, l'apparition courte mais émouvante d'un Vincent Price mystérieux et espiègle, qui ne tardera pas à rejoindre, pour la plus grande tristesse de toute une génération de cinéphiles, un autre monde où l'attendait sans aucun doute son épouse bien-aimée.
D'une émotion à vous comprimer le coeur (la détresse d'Edward quand sa belle lui demande de la prendre dans ses bras et qu'il lui répond simplement "je ne peux pas" me fout chaque fois les larmes aux yeux), Edward Scissorhands est pour ma part une des oeuvres les plus abouties de Tim Burton, car assurément une des plus sincères. La profession de foi d'un créateur que j'aimai par-dessus tout, mais qui peinera, passés ses autres chefs-d'oeuvres que sont Batman Returns et Ed Wood, à en retrouver la magie.