Réaliser un long-métrage (6 ans après) pour clore une série (culte), ça sonne au mieux comme un pari risqué, au pire comme une opportunité presque trop évidente de continuer à faire fructifier un univers aimé. Et pourtant...
El Camino n'est pas un "grand film". Il n'en a peut-être pas la prétention, adoptant parfois un faux-rythme, qui fait la singularité de(s) la série(s) originelle (n'oublions pas Better Call Saul qui n'est pas en reste sur le sujet), mais qui est pour le moins déroutant quand on sait que l'objet en question se termine en 2h. Alors pourquoi 8/10 ?
D'abord, les évidences
Évidemment, la performance d'Aaron Paul est pour ainsi dire un sans faute. Elle l'est peut-être d'autant plus qu'il incarne son personnage à plusieurs époques différentes, et surtout qu'il est, plus que le centre du film, sa raison d'être.
La photographie et la réalisation sont parfaitement maîtrisées, du clair-obscur de la quête de l'argent dans l'appartement de Todd au vert angoissant de la cage, jusqu'aux plans presque documentaires de désert et de forêts enneigées.
Le rythme, s'il est comme dit plus haut parfois perturbant, permet de développer une sorte de dernière quête nécessaire et découpée en des actes sans grandiloquence mais indispensables à la conclusion.
Mention spéciale aux transitions, qui sont aussi bien pensées qu'elles déroutent sur le moment de l'histoire de Jesse où l'on se trouve, et à la musique, toujours de Dave Porter, et toujours au centre de l'intention du réalisateur.
A-t-on évité le fan-service ?
Alors voilà, le risque était peut-être de ne faire de ce film qu'une ode à une série adorée par les fans, au point de lui enlever toute substance artistique réelle. Pourtant, il me semble que le fan-service, si on le cherche, a été limité à l'essentiel. De la satisfaction de revoir la caravane ou évidemment (SPOIL) Walter au demi-sourire que décroche la "rue Holly" de l'appartement de Todd, les hommages sont finalement assez discrets et naturels, permettant parfois même de donner encore plus de sens aux évènements passés. Le “You are really lucky, you know that ? You didn’t have to wait your
whole life to do something special” de W.W. résonne alors d'une manière terrible : Heisenberg était là depuis le départ, puisque Walter y a trouvé un accomplissement dès cette scène correspondant à la fin de la saison 2 ; et pour Jesse, qui n'était pas condamné par la maladie, le "something special" a définitivement des allures de descente aux enfers.
Un joli point final
Alors si ce requiem est doux-amer, c'est probablement parce qu'il devait l'être. Le destin de Jesse est digne d'une tragédie grecque (même s'il prend parfois des allures de Western), et les apparitions des acteurs de son passé ne nous feront pas dire le contraire (coucou Jane). Cette image de lui hurlant après sa libération dans le dernier épisode de Breaking Bad en avait rassasié plus d'un (moi compris), mais celle (RE-SPOIL) de son visage meurtri et résigné sur une route enneigée n'est pas moins pertinente. La lettre à Brock, l'explosion de l'usine de ses bourreaux indirects, les adieux à ses acolytes... Certains diront que c'est un peu lourd, et qu'il faut laisser de la place à l'imagination. Selon moi, pour que Jesse quitte cette spirale où il laissait l'univers le porter (ou plutôt le descendre), il avait besoin d'El Camino ; le personnage (et l'acteur) le méritaient, Vince Gilligan l'a fait, et dans ce qu'il voulait raconter, je pense qu'il l'a bien fait.
P.S. (spoilspoilspoil) : Je n'étais pas convaincu sur la pertinence voire l'absence de risque de revoir W.W. Finalement, cela fait aussi partie des choses qui ont été faites avec beaucoup de classe ; il n'a pas participé à la promotion, n'est évidemment pas sur l'affiche du film ni dans le synopsis, et on coupe très vite court par un flash radio à toute spéculation : W.W. est mort, vidé de son sang dans ce hangar représentatif de ce qu'il aura le plus aimé, à bout de souffle après avoir sauvé Jesse. Son apparition en tant que prof encore (presque) innocent donnant des conseils à ce dernier est alors touchante et subtile, moment presque en suspens d'une quête vers une "liberté" probablement in-atteignable au vu des évènements relatés.