La balade sauvage
Au bord d’une plage jalonnée par les ombres et tapissée par un coucher de soleil, un groupe de personnes discute, rit de vive voix et s’amuse en promenant leur chien de course. Tout semble apaisé...
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le 6 mars 2017
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Avec El Club, Pablo Larraín s’enfonce dans un lieu poisseux, où le mal n’a plus besoin de masque : il est là, tapi dans l’ombre, assumé et perpétué sous le couvert du silence. Dans cette œuvre suffocante, le cinéaste n’offre ni salut ni rédemption, seulement un lent pourrissement moral, un huis clos où la foi n’est qu’un écran de fumée dissimulant l’indicible.
Dans une maison isolée, au bord d’une mer grise et sans horizon, vivent des prêtres tombés en disgrâce. Non pas pour avoir été jugés, mais parce que l’Église les a soustraits à la justice des hommes. Exilés, mais protégés. Coupables, mais sanctuarisés. Autour d’eux veille une nonne, Monica, gardienne d’une morale inversée : non pas celle qui répare, mais celle qui perpétue l’omerta.
L’arrivée du père García, envoyé du Vatican, aurait pu incarner la possibilité d’une justice tardive. Mais Larraín n’écrit pas de récit rédempteur : García n’est pas un purificateur, seulement un autre rouage du système. Il ne cherche pas la vérité, seulement à préserver l’image de l’institution. Peu importe que ces hommes aient péché ; ce qui compte, c’est que leurs crimes restent invisibles.
El Club dissèque le mal sous toutes ses formes. Le mal individuel, d’abord, celui de ces prêtres qui, plutôt que d’affronter leurs actes, les minimisent, s’enferment dans un mutisme, ou se complaisent dans l’indifférence. Le mal institutionnel, celui d’une Église qui ne punit jamais vraiment, préférant l’exil à l’aveu, la clandestinité au châtiment. Le mal collectif, celui d’un village complice, qui tolère ces criminels en son sein, dans une acceptation silencieuse qui en dit long sur les mécanismes de perpétuation.
Larraín ne leur accorde ni rédemption ni prise de conscience. Ces prêtres ne sont ni hantés par leurs actes ni transformés par leur isolement. Ils stagnent, figés dans un purgatoire sans remords. Et c’est là que le film devient implacable : il ne propose aucune issue, aucun chemin vers la lumière. Il ne reste que la pourriture, lentement absorbée par le cadre.
La mise en scène épouse cette suffocation morale. Larraín filme à travers des focales longues, plongeant ses personnages dans un flou permanent, comme s’ils se dissolvaient dans l’atmosphère brumeuse. Ils sont prisonniers d’un monde qui les engloutit, réduits à des silhouettes fantomatiques, à des ombres qui errent sans jamais trouver d’issue.
Même les chiens qui peuplent cette maison sont des reflets d’eux-mêmes. Domestiqués, conditionnés, incapables de s’échapper, ils sont l’allégorie parfaite de ces hommes : soumis à un ordre qui les enferme autant qu’il les protège. L’un des prêtres, le père Vidal, nourrit un attachement particulier pour son lévrier, seul lien émotionnel qui semble encore réel. Mais ce lien est aussi une illusion, et sa mort est une sentence.
Lorsque le chien est abattu, ce n’est pas seulement un animal qui meurt : c’est l’ultime confirmation que leur sanctuaire est une mascarade. Ils ne sont pas à l’abri. La violence qui les a tant de fois épargnés les rattrape sous une autre forme, et même s’ils ne paieront jamais vraiment pour leurs crimes, quelque chose en eux commence à vaciller.
Larraín met à nu un paradoxe glaçant : dans El Club, l’Église est à la fois bourreau et sauveur. Elle châtie en surface, pour mieux absoudre en silence. Elle condamne, puis tend la main en signe de pardon. Ce mécanisme, il l’illustre dans une scène brutale : un homme est battu, puis secouru par ceux-là mêmes qui l’ont mis à terre. Une parabole de cette Église qui humilie avant de bénir, qui sacralise la douleur tout en perpétuant la souffrance.
Ce geste est le cœur du film. Il expose un système où la pénitence n’est qu’un rituel creux, où le pardon n’a plus rien d’un rachat sincère. Larraín démonte méthodiquement les illusions de justice et de rédemption, et nous laisse avec un constat glacial : tant que le pouvoir cherchera à préserver son image avant de confronter ses fautes, le mal continuera à prospérer en silence.
Sans issue, sans lueur d’espoir, El Club se referme comme un piège, laissant le spectateur hanté par cette question vertigineuse : comment combattre un mal qui ne s’avoue jamais coupable ?
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il y a 1 jour
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