Qui trinque quasiment toujours en premier quand un gouvernement populiste à tendance fascisante émerge dans un pays ? La culture, bien sûr, et son émanation directe l'école ! L'une et l'autre étant intrinsèquement liées, elles forment une cible idéale pour les tyranneaux avides d'imposer leur vision univoque du monde. Cette prédation annoncée est le cœur de cette histoire de rivalité entre deux professeurs de philosophie dans une université de Buenos Aires, deux personnages aux personnalités très éloignées qui se livrent une lutte à fleurets mouchetés mais sans merci pour succéder au doyen, bêtement mort d'avoir fait trop de sport, comme pas mal de vieux beaux qui ne lâchent rien. Un pas de côté savoureux dans ce monde de joggeurs effrénés qui transforment les parcs en hippodromes hostiles aux promeneurs. Le héros du film, élève préféré du défunt, devrait normalement prendre la place de son mentor, mais c'est sans compter le retour d'Europe d'un flamboyant orateur, auréolé de sa gloriole académique (la philosophie argentine qui s'exporte sur le Vieux Continent, toute une épopée !) et de sa liaison tapageuse avec une jeune actrice très en vogue. Tout le contraire du type un peu bedonnant, père de famille, d'un classicisme hors d'âge qui le rend presque invisible. Cette rivalité un peu bavarde n'est finalement que le prétexte à une réflexion sur l'évolution contemporaine de l'Argentine, malmenée par une classe politique à l'honnêteté et à la compétence discutables (un mal assez répandu, ces temps-ci, en matière de personnel politique...) et en proie à la tentation populiste tape à l’œil d'un Milei qui joue sur du velours et exploite le 'sentiment de déclassement', pour reprendre une expression à la mode, d'une population laissée pour compte, pour ne pas dire carrément flouée. Quel rôle peut jouer le monde de la culture dans un bourbier pareil ? Quelle place peut tenir la Culture avec une majuscule dans les querelles d'egos très terre-à-terre qui secouent absolument toutes les sociétés humaines, quelle que soit leur échelle ? Cela vaut bien un petit film, non ? D'autant que la réponse finale est tout à fait savoureuse. Difficile d'en parler sans éventer la surprise, mais disons que les personnages montrent finalement de quel bois ils sont faits au moment où des circonstances extérieures les y acculent. Ce finale rachète sur la ligne d'arrivée les questions qu'on se posait dans les scènes les plus disertes... Il est vrai que c'est un reproche fait à la philosophie, cette facilité à coller des montagnes de mots sur les interrogations les plus essentielles de notre espèce. A certains elle peut paraître un peu vaine, et c'est tout le pari de cette histoire que de démontrer que non, qu'en fait elle est essentielle et peut concrètement nous sortir d'atermoiements dangereux et nous éviter des pentes savonneuses. Hautement recommandable, donc, comme ce film sympathique qui frôle le dérapage parfois mais sait tenir le cap.