Manuel Lopez Vidal est un homme accompli. Il a gravi les échelons d'un parti indéterminé, va récolter de beaux lauriers en récompense de sa patience, connaît les figures d'un royaume situé hors sol. Réunies autour d'une bonne assiette de gambas, toutes badinent sur leurs juteuses magouilles.
Mais cette belle mécanique se grippe à la mise en examen d'un des membres du clan. Lopez Vidal verrouille tout, rappelle aux uns et aux autres que l'affaire n'ira pas plus loin si chacun se tait. Une maladresse pendant ces entretiens le met au centre des projecteurs. Il est devenu embarrassant, ses anciens camarades lui annoncent son éviction. Il sera le fusible qu'on éjecte pour étouffer le scandale.
Ceux qui s'attendent à la reconstitution d'une grande arnaque en seront pour leurs frais. On parle très rarement de politique dans El Reino, et ce parti mal situé (idéologiquement comme géographiquement) sert de cadre machiavélique à une fuite en avant.
Antonio de la Torre brille dans son rôle de cadre faussement quelconque, prêt à faire feu de tout bois pour atténuer sa chute. Il ne craint ni les coups ni les risques, sait jouer les ambitions des uns contre les certitudes des autres, alterne tous les registres. Quand on le croit fini, il surenchérit en sacrifiant ce qui pourrait encore compter. Et quand on n'a plus rien à perdre, la préservation passe par la terre brûlée.
La réalisation de Rodrigo Sorogoyen s'adapte à ce propos. Le pouvoir étouffe ses détenteurs. Ce postulat se traduit par la floraison de cadres resserrés sur les visages, et les rares vues d'ensemble annoncent des pugilats symboliques ou concrets (l'estocade sur un ancien mentor, un déchaînement de violence). La stratégie de Lopez Vidal est aussi propice aux emballements, ce qui implique quelques plans séquences (dont un mémorable passage dans une résidence secondaire transformée en crack house dorée).
Le scénario fait la part belle à un suspense intense, qui débouche sur un dénouement un peu sec. Il reste à l'arrivée ce constat : dans un jeu où personne n'est pur, le perdant a peut-être aussi des responsabilités.