Au-delà du fait qu'il s'agisse du premier "Midnight Movie" officiel, il y a quelque chose dans ce El Topo qui fait forcément penser au cinéma novo brésilien des années 50 et 60. En soi il pourrait être une sorte de passerelle entre ce mouvement et le renouveau psychédélique (ou non) des années 70. Sans être un grand connaisseur du mouvement, il me semble y avoir une forme de contestation violente du gouvernement particulièrement similaire, contestation qui passait par exemple par des histoires de vengeance.


Un désir de vengeance, c'est ce sur quoi débute le film durant sa première partie (sur trois, à durées à peu près égales). El Topo, cet espèce de cavalier (presque) solitaire campé par Jodorowsky lui-même qui pourrait rappeler certains rôles d'Eastwood, parcourt des villages massacrés à la recherche d'un colonel. Mais le thème de la vengeance n'intéresse pas Jodorowsky, contrairement à dépeindre une société militaire affreuse et impitoyable. Les soldats ne parlent même pas, ils grognent, ils rient, reproduisant un brouhaha sonore similaire aux bêlements des chèvres à proximité. Ils mangent littéralement la Bible et torturent de jeunes prêtres tandis que le colonel attend dans sa tour de pierre. La haute bourgeoisie sera également fortement critiquée dans la troisième partie du métrage en les mettant en scène de manière grotesquement absurde, des maîtres absolus de la lâcheté et du mépris.


El Topo, par tous les symboles qu'il emprunte et s'approprie, est une oeuvre mystico-religieuse mais qui semble dépourvue de tout point de vue autre que celui de contester une certaine population reflétant sans doute la réalité du Chili à cette époque. C'est avant tout le portrait métaphysique d'un homme, un cowboy christique qui tentera d'accéder à la toute puissance mais finira en demi-dieu reclus. Un portrait métaphysique mais aussi absurde, violent et dans un sens, sans but.


Les symboles religieux sont ainsi légions, allant de la posture christique au rôle prépondérant de l'Eglise, en passant par le mythe de la caverne (qui n'est certes pas religieux mais dont le thème de la connaissance y est forcément relié dans la globalité du film). Il est d'ailleurs quasiment impossible de ne pas songer à une ressemblance entre ces symboles et ceux de Matrix (peuple souterrain, pastilles bleues et rouges, régime totalitaire), El Topo ayant sans aucun doute servi d'inspiration.


J'entends ici et là que des gens sont retenus dans leur enthousiasme à cause des moments un peu ridicules du film et des erreurs de montage. Mais l'irréalité baigne dans El Topo, autant dans l'absurde des situations que dans l'unique portée métaphorique de certains passages, et c'est précisément pour cela que les faux raccords et les effets spéciaux cheap ne gênent finalement pas. L'humour, qu'il soit volontaire ou non, est inévitable de toute façon car la contestation passe par le grotesque. Une aristocrate parlant avec une voix d'homme fait rire, mais c'est justement parce qu'elle fait rire que la critique est violente. Le faux raccord fait se désintéresser du premier degré de l'intrigue pour mieux se concentrer sur la portée de la mise en scène et des symboles.


En cela, le deuxième long métrage du cinéaste chilien est immensément riche et propice à diverses interprétations. Même si sa grammaire cinématographique est moins précise, il me fascine finalement de la même manière que le Bow-up d'Antonioni dans sa multitude de symboles et sa critique virulente de la société. Dans El Topo, l'absurde est crade, violent, drôle, pittoresque et pathétique, symbolique et irraisonné. Donc puissant.

Antofisherb
8
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le 26 sept. 2015

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Antofisherb

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