Elena s'ouvre avec un schématisme assez caricatural, c'est un film sur l'argent, ceux qui en ont et ce qui n'en ont pas. Ceux qui en ont, aujourd'hui, ce sont Elena, ancienne infirmière, le riche Vladimir avec lequel elle s'est remariée 10 ans auparavant. Ils vivent dans un système routinier, dans un grand appartement tout équipé, mais terne et sans vie. En quelques minutes Zviaguintsev, via une mise en scène rigide, en plans séquences très construits, pose le constat, un peu réducteur, d'un couple de zombies, qui se croisent à peine, dorment dans chambres opposées et répètent leurs gestes sans fin.
Le cinéaste les filme en opposition, à chaque bout d'une table, dans des cadres ou des pièces séparées. Des riches quoi.
Ce qui n'en ont pas, d'argent, ce sont les enfants de ce couple. Les deux décrits comme des branleurs, assistés et attentistes. La fille de Vladimir, jeune femme moderne qui suce le sang de son père et ne vit que du fric que ce dernier lui donne. Et le fils d'Elena, qui boit des bières, affalé dans son canapé, bouffe des chips en jogging et crache par la fenêtre. Il a une femme, deux enfants dont un bébé, et vit dans un appart à l'opposé de celui de sa mère, restreint, dans un immeuble dégueulasse d'une zone industrielle, en pied d'usines, avec des tapisseries fleuries et colorées, et un beau bordel. Le fils ado est un branleur comme son père, il joue au jeu vidéo et fait des conneries avec ses potes plutôt que d'étudier. Des pauvres typique quoi.
Mais à l'image de ce long plan fixe qui ouvre le film, sur l'arbre qui jouxte l'appartement d'Elena, rien n'est réellement figé. Certes, dans ce plan, on y voit un corbeau, la mort plane autour de ce couple, mais on y entend aussi la vie tout autour, celle qui n'est pas systématique, et surtout par de légers effets de mise au point, Zviaguintsev décadre ce qu'il filme, transforme le regard et le fait évoluer vers autre chose. Ces situations à première vue atrocement caricaturales, meuvent de temps en temps. Certes l'horreur et la noirceur humaine prédomine tout le long, mais la tendresse et l'amour entre aussi dans le champ, au détour d'une conversation (père/fille, mère/fils, mari/femme) d'un regard ou d'un geste. Et puis cette évolution et cette variation de regard sont aussi là pour aborder le personnage ambigu d'Elena. Elle aussi décrite au départ comme figée, femme forte, digne, mère courage et femme obéissante et aimante. Jusqu'à ce qu'elle pénètre une spirale destructrice, guidée par l'amour et la dévotion pour sa famille. Dès lors le film change lui-aussi et plonge dans une intrigue de film noir. Mais un film noir sans romantisme, construit sur la banalité étouffante et fadasse du quotidien, et comme souvent reliant les méandres de l'âme humaine à un constat sociétal plus large.
Zviaguintsev, grâce à ces petites mutations, qui engendre une autre plus grande, (ouverture et clôture du film sur un même plan) se recentre sur le tragique d'une famille, en échappant de peu à l'exercice misanthropique. Il parvient de justesse à briser le miroir trop réfléchissant entre ses personnages et la Russie générale actuelle, que l'on apercevait un peu trop au départ.
Mis à part ça, c'est assez fort en terme de cinéma, la mise en scène, à la limite de la complaisance, évite toujours d'y tomber grâce à sa justesse et à sa construction intelligente.