Elephant Man, c'est d'abord le film qui a véritablement lancé la carrière de David Lynch. Ce deuxième long-métrage du réalisateur, un drame/biopic sur la vie de John Merrick, un homme si hideux qu'il déclenchait les moqueries de ceux qu'il côtoyait, succédait en effet à Eraserhead, un film bien moins accessible et bien plus personnel.
Car bizarrement, c'est peut-être ce qui m'a le plus frappé dès les premières minutes d'Elephant Man: le contraste immense avec le premier film de David Lynch, ainsi qu'avec tous les courts-métrages qu'il avait pu réalisés auparavant. Alors qu'il s'agissait chaque fois de métrages complexes à aborder, tant ils étaient glauques, oppressants et passaient par une symbolique certaine, Elephant Man apparaît plutôt comme un biopic ordinaire: la réalisation et la mise en scène obscure, presque tordue qu'on connaissait à David Lynch n'est ici visible à aucun moment, et l'on se contente de suivre les vicissitudes du personnage principal, John Merrick, campé par un John Hurt impeccable, qui ne tombe jamais dans un pathos dégoulinant.
Attention par contre, à nuancer ce contraste: David Lynch est loin de réaliser un conte de fées. On peut même établir un certain lien avec Eraserhead en ce que le personnage est plongé dans un cauchemar permanent et sans échappatoire: d'ailleurs, même si la mise en scène est moins poussée que dans son premier long-métrage, elle reste maîtrisée et appréciable. On en donne pour exemple le choix de Lynch de nous dévoiler la véritable apparence de l'Homme-Éléphant - tel est son nom de bête de foire - que lorsque l'infirmière entre dans sa chambre et crie de stupeur, ne s'attendant pas à le découvrir: on se retrouve aussi stupéfait qu'elle, déchiré entre le sentiment de pitié que nous insuffle le film depuis ses premiers plans, et le dégoût que suscite l'apparence de John Merrick.
D'une certaine manière, c'est sur ces sentiments contradictoires que Lynch va poser les bases de son film. En multipliant les plans sur le visage de John Merrick, il place son sujet, hideux et pitoyable, au centre de l'attention du spectateur, qui ne peut pas détourner les yeux. Finalement, ce choix de réalisation, ainsi que la relation entre John Merrick et le docteur Treves (incarné par Anthony Hopkins) qui le recueille, va avoir pour effet de rendre l'Homme-Éléphant attachant. Ce que David Lynch met en évidence, c'est la solitude abyssale de son personnage, l'obscurité sociale constante dans laquelle il est plongé, et surtout l'injustice de celles-ci. Elephant Man peut ainsi paraître comme un film convenu, en tant qu'il délivre un message simple d'une manière assez directe: la véritable monstruosité n'est pas celle de John Merrick, la véritable animalité n'est pas celle de l'Homme-Éléphant; elles sont celles du directeur du cirque, prêt à tout pour exploiter John Merrick comme une bête de foire, ou celles de la foule qui va, d'une manière tout à fait immature qui contrastera avec l'intelligence de John Merrick, jouer des tours à l'Homme-Éléphant.
C'est un message noble, certes. Mais après Eraserhead, on aurait pu attendre mieux de David Lynch, et encore mieux d'un film qui est considéré comme un chef-d'oeuvre du cinéma depuis plus de trente ans. Elephant Man demeure tout de même un long-métrage de qualité, et surtout un biopic intéressant sur un homme défiguré, qui permettra de poser un regard méfiant sur cette humanité versatile, qui peut soigner un homme et le détruire, qui peut l'accueillir et le rejeter, même si l'on pourra finalement regretter le fait que le film tournera sans cesse autour de cette question, sans forcément chercher à la développer.