Ou comment la réalité trépasse la fiction

Ce que je trouve particulièrement incroyable dans ce film... en plus de la prestation bluffante de John Hurt, de la mise en scène la moins personnelle mais pourtant des plus élégantes et sensibles de Lynch, en plus de sa direction artistique exigeante et de son scénario fidèle à la véritable histoire...
C'est le soin tout particulier apporté à l'empathie du spectateur. Chose pas très aisée, donc. Parce que, sans la maîtrise des effets produits sur le spectateur, sans connaitre sur quoi très précisément il faut l'atteindre dans cette histoire, beaucoup de choses pourraient paraître ici too much : les larmes du protagoniste quand une femme lui tend la main, le médecin qui se découvre une conscience progressivement et surtout le formule, la star qui parle du raffinement du héros avant même de le rencontrer, même les violons accompagnant la mort... Des exemples de films virant au pathos lourdingues avec de tels ingrédients, il y en a plein. "Elephant Man" parvient pourtant à ne jamais agacer, ne jamais donner l'impression de truquer pour forcer les larmes, alors que tous les éléments tire-larmes sont présents ! Lynch aura compris, dans sa mise en scène et dans son montage (la relation musique-image dans le film est exemplaire), que toute intervention de son style ne pourra jamais égaler l'absurdité et la tristesse de la vie du réel Joseph Merrick (et non John, comprend pas pourquoi...). Il n'avait qu'une chose à faire, illustrer la réalité de sa vie de la façon la plus sensible possible, pour que la fiction trépasse, et qu'il en subsiste l'empathie que le film provoque toujours aujourd'hui chez énormément de spectateurs. Il pouvait alors appuyer ses effets, tant qu'il les ménageait tout de même, ils ne pouvaient que fonctionner avec un tel protagoniste. Il aurait été facile pourtant de ne rien faire d'autre qu'exhiber les problèmes de l'individu et forcer pour que cela fonctionne ; Lynch aura eu l’élégance de raconter l'homme, et attendre que cela fonctionne de lui-même. Alors, même si c'est le film qui lui ressemble le moins, c'est sûrement l'une des plus belles preuves du grand réalisateur qu'il est.
Pensée pour le squelette conservé de Merrick, malheureusement toujours exposé comme une bête de foire, toujours sous prétexte d'analyse scientifique, alors qu'en tant que fervent chrétien un enterrement en bonne et due forme aurait été légitime.