Avant Elle, c'était The Assassin qui était en tête de mon top 2016. Au fond de moi j'avais hâte de détrôner le HHH car ça m'embêtait d'avoir un film si esthétisant en n°1. C'était trop triste pour le cinéma. Ça tombe bien car Elle est l'anti-The Assassin. Là où HHH vise la beauté formelle absolue, jusqu'à la sidération (du spectateur, mais aussi de l'image), Verhoeven lui a voulu faire un film "toujours en mouvement", avec un montage "qui ne se voit pas", aller dans le sens de l'histoire et des acteurs. Le résultat, c'est un film aussi impressionnant que The Assassin, mais d'une toute autre manière. On n'a jamais vu un film comme Elle, pas plus qu'on n'avait vu de film comme The Assassin, mais ce dernier n'ouvrait pas d'horizon, alors qu'Elle en ouvre énormément.


Elle est un film impressionnant, bien que sa mise en scène soit assez humble - elle ne cherche pas à se montrer. Je crois que peu de films ces dernières années - sûrement aucun - ont vibré d'une telle envie de raconter une histoire et de montrer des acteurs ensemble. Elle donne l'impression d'être plein de films en un seul : il comprend tellement d'histoires qui mériteraient d'être racontées, tellement d'acteurs et de personnages qui mériteraient de tenir le premier rôle, tellement de genres abordés, que l'on se prend à rêver à tout ce que Verhoeven aurait pu faire d'autre dans l'hexagone... mais contentons-nous de son film.


Ce qu'il y a de magique aussi dans Elle c'est le rapprochement culturel qu'il opère. Verhoeven est un cinéaste néerlandais, mais connu pour sa carrière américaine, ponctuée de succès retentissants. Le voir arriver en France était une curiosité, et l'on pouvait se demander comment son style rentre-dedans allait s'accomoder à "l'esprit français", s'il allait faire un film américain en France, ou bien s'il allait faire un vrai film français - mais allait-il rester Verhoeven ? Le résultat, c'est ce qu'on pouvait espérer de mieux, c'est-à-dire un film français de Paul Verhoeven. Elle est donc un vrai thriller, qui fait peur et qui met très mal à l'aise, au moins autant que Basic Instinct - sans doute plus -; mais ce n'est pas seulement ça. C'est aussi une chronique de la vie d'une femme, face à sa vie, qui voit ses failles resurgir et qui est confrontée à beaucoup de choses en même temps (pas seulement le viol qui constitue le centre de l'intrigue, mais aussi l'émancipation de son fils, la vieillesse de ses parents, le lancement d'un nouveau jeu dans sa boîte, etc.), et cette chronique je crois que Verhoeven avait besoin de la France pour la raconter.


Et puis le ton est également très appréciable, et complètement inédit. Verhoeven joue constamment de la dédramatisation. C'est comme si tout ce que le scénario mettait en travers du personnage ne l'atteignait jamais, alors que l'on est pourtant dans un vrai film de genre, pas une comédie - même s'il y a plein de moments drôles. Michèle ne se plaint jamais, ne se prend pas pour une victime, et je dois dire que c'est très réjouissant d'échapper au naturalisme de cette manière, et cela tout en préservant le trouble à chaque instant. Elle est peut-être le plus grand thriller du cinéma français, tout en restant un vrai film français, et l'on notera la différence entre les deux génériques : au début, avec les lettres qui brillent dans le noir, on se croirait dans un polar à l'américaine, presque dans un film de science-fiction ; à la fin, on se verrait plutôt chez le Resnais fin de carrière, genre Les Herbes folles. Verhoeven a trouvé la solution pour gagner sur tous les tableaux : pousser le curseur.

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le 26 mai 2016

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Neumeister

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