Il n’y avait que l’opératique Baz Luhrmann pour retracer la vie d’Elvis Presley. Il joue de son extravagance pour déjouer les codes du biopic dans un long-métrage aussi démesuré et colossal que l’était le King Of Rock.
Elvis Presley est ce que l’on appelle une légende. La représentation de sa vie et de ses exploits a traversé les décennies pour s’inscrire durablement dans la mémoire collective. Tout le monde connaît son nom. Mais une légende est également un récit au caractère merveilleux et dans lequel les faits historiques sont transformés, embellis, par l'imagination populaire. C’est par cet angle que le cinéaste australien aborde le King dont l’attitude, les performances et, bien entendu, sa musique influencent encore aujourd’hui. Derrière sa structure classique, Luhrmann n’hésite pas une seconde à saboter le tout avec sa grandiloquence toujours aussi clivante. Or, cette énergie ravageuse s’accorde à merveille à l’aura de Presley dont l’excentricité aura fait la une des tabloïds. De ce fait, l’ascension du musicien se fait au rythme frénétique des effets de mise en scène de Luhrmann qui ne se refuse rien. Split-screen, séquence sous forme de comics, anachronisme musical, etc. Tout y passe, au risque de déborder.
C’est ainsi que commence ELVIS, par une euphorie communicative quoique éreintante dont le seul véritable défaut est d’être rempli d’informations dans lesquelles un néophyte pourra aisément se noyer. Mais Luhrmann tient ferme le gouvernail au détour de séquences mémorables et quelques choix judicieux comme celui de montrer les origines noires du rock’n roll. La légende d’Elvis s’est construite sur la base d’un pacte faustien avec le Colonel Parker. Au-delà des qualités artistiques du musicien, il est évident que Parker a façonné l’image d’Elvis pour l’imposer dans tous les foyers jusqu’au point de rupture. Quand la femme qu’il aime le plus s’en va, Elvis s’enferme petit à petit et tente d’affirmer davantage sa personnalité jusqu’ici cadenassée par la société et Parker. ELVIS prend alors une dimension mélancolique que Luhrmann n’abandonnera plus pour conter les fêlures de cette légende en quête d’amour. Presley recherchait l’amour de tous au point de devenir un fantôme dans son intimité et de s’isoler, broyé par un système dont il ne saisissait pas pleinement les enjeux, lui qui avait laissé son image entre les mains de ceux en qui il avait naïvement confiance. Le rythme ralentit sans renier l’énergie du premier acte et les nombreuses idées signifiantes de mise en scène.
En conséquence, ELVIS prend une dimension tragique quand on voit Elvis se débattre pour reprendre son image en main et malgré tout s’engouffrer dans une spirale autodestructrice. L’émotion grandit, bien aidée par la phénoménale interprétation d’Austin Butler, et on assiste à la chute d’une légende remplacée par une nouvelle scène qui lui doit pourtant tout. La légende s’écroule pour chuter inexorablement dans la solitude. A ce moment-là, intervient une sublime scène sur un tarmac entre Elvis et Priscilla, condensée de toutes les joies et peines d’un homme conscient de son insatisfaction et de ses frustrations. Des sentiments que sa dernière représentation cristallise. Le 26 juin 1977, à Indianapolis, il reprit “Unchained Melody” des The Righteous Brothers, donna tout et déclara une ultime fois ce qu’il a toujours voulu : “Alone. Lonely time./And time goes by, so slowly,/And time can do so much,/Are you still mine ?/I need your love./I need your love./God speed your love to me.”
ELVIS électrise le biopic et interroge le légendaire. Il permet de saisir une fois de plus l’importance de Presley sur la scène musicale, tout comme il montre le début de la fin de l’intégrité artistique détruite par le capitalisme. La légende est écrite, mais à quel prix ?