L’exercice du biopic autorisé par les héritiers du chanteur, une entreprise qui a fait de Presley le plus gros vendeurs de disques de l’histoire post-mortem, ne permet évidemment pas de s’aventurer dans les aspects les plus sombres de la vie et de la personnalité du Roi du Rock’n’Roll ce qui rend le choix de l’exubérant Baz Luhrmann pertinent pour échapper à l’ennui d’une fiche Wikipedia filmée. Sans perdre le sens du rythme frénétique qui le caractérise il troque ici la frénésie pour un gigantisme très « Vieil Hollywood ». Luhrmann adore surcharger ses plans – plus de couleurs, plus de musique, de décors plus élaborés, plus de show girls faisant de son Elvis un grand spectacle coloré où se multiplient les cadrages graphiques et des jeux de transition avec l’image. Son film suit les trois incarnations d’Elvis, le rocker sulfureux qui amène la musique noire à un public blanc dans l’Amérique ségrégationniste des années 50, son come-back des années 60 après une décennie de films de série B en pleine période de tumultes politiques et la fin de sa vie de crooner obèse, drogué mais flamboyant s’épuisant sous les lumières de Las Vegas. Le style de Baz Luhrmann est presque écrasant au début Essayant de donner un aperçu rapide de l’éducation d’Elvis Presley et de son ascension vers la célébrité, le réalisateur de Gatsby et Roméo + Juliette nous frappe avec un torrent de sons et d’images, pratiquement chaque scène est un montage, superposant Elvis sur scène avec un moment de sa jeunesse, où il est transporté par la musique gospel dans une tente revivaliste ou un aperçu d’une discothèque de blues et une conférence de presse où un politicien sinistre condamne sa débauche. Le montage est si rapide qu’il laisse peu de place pour le développement du personnage au milieu d’une distribution tentaculaire, même si les interprètes tirent le meilleur de leur bref temps d’écran, il n’y a pratiquement aucune scène où les personnages partagent des conversations significatives. Kelvin Harrison Jr. dans le rôle de B.B. King, traînant avec son ami blanc sur Beale Street, Kodi Smit-McPhee (Power of the Dog) est sous-utilisé dans le rôle du chanteur Jimmie Rodgers, qui a aidé à présenter Elvis aux non-initiés. Sam Phillips (Josh McConville) de Sun Records, sa réceptionniste Marion Keisker (Kate Mulvany) et le DJ Dewey Phillips (Patrick Shearer) le trio sans qui il n’y aurait jamais eu d’Elvis ne fait que passer. David Wenham (Le Seigneur des Anneaux) dans le rôle du chanteur country Hank Snow avec qui il partagea un temps l’affiche a un rôle plus développé d’utilité comique dans le rôle du dinosaure qu’Elvis va remplacer.



Mais heureusement le tempo ralenti et les fioritures hyper-visuelles de Luhrmann finissent par trouver leur rythme cédant la place à une narration plus conventionnelle pour laisser briller le travail de son acteur principal Elvis est, bien sûr, un rôle de rêve pour un jeune acteur, mais également un piège. Comment se distinguer des masses d’imitateurs qui frisent les lèvres ? Austin Butler – un acteur américain de télévision est absolument magnétique en Elvis Presley. Butler a été recommandé pour le rôle par Denzel Washington (ils ont travaillé ensemble à Broadway en 2018) et il est facile de comprendre pourquoi. Charismatique, adhérant à la vision tourbillonnante, suante et maximaliste de Baz Luhrmann. Il fait preuve d’un talent vocal surprenant, chantant lui-même les premiers standards du King dont la qualité sonore d’enregistrement ne leur permettaient pas d’être inclus dans le film. Son travail d’incarnation est exceptionnel il a la voix ou plutôt les voix d’Elvis, son regard, ses mouvements et le même le sourire narquois. Les scènes de concert, sont d’étonnantes prouesses de mimétisme. Même si l’approche « a little less conversation, a little more action please » de Luhrmann ne lui permet pas de donner beaucoup de profondeur psychologique à son Elvis, dont le portrait est dessiné avec de grands coups de pinceau, le jeune acteur parvient à incarner la dernière période tragique de la vie du chanteur, par petites touches, sans abuser de maquillages prosthétiques. Il capture l’âme de Presley.



Au contraire de Tom Hanks, enterré sous des kilos de maquillage et de prothèses pour incarner le découvreur / agent / impresario exclusif du King le « colonel » Tom Parker (pas plus colonel qu’américain c’est en fait un hollandais du nom d’Andreas Cornelis van Kuijk). A la fois escroc et promoteur de génie il a dirigé la carrière d’Elvis et exploité le chanteur de Memphis jusqu’à son dernier jour. Décédé en 1997 ayant été poursuivi en justice par les héritiers du King (il ne sera officiellement plus l’agent d’Elvis en 1987 dix ans après sa mort !) Parker ne bénéficie pas de l’immunité du biopic officiel et endosse donc le rôle du méchant de l’histoire sans aucune ambiguïté : raciste, menteur, physiquement repoussant, sa cupidité et ses pratiques trompeuses qui finissent par enfermer son poulain dans la cage dorée de Vegas exonère Elvis de sa déchéance. Luhrmann le décrit comme un garçon de la campagne au caractère doux qui aimait le rock ‘n roll, sa maman et sa femme, Priscilla, involontairement entraîné dans l’enfer par Parker. Oubliant que les choix de Parker dans les années 70 , même si le puristes les rejettent, ont sans doute préservé la légende de son poulain, quelle place aurait eu un rocker vieillissant dans l’explosion du rock progressif de cette époque ? Si Hanks n’est pas en mesure de lui apporter l’humanité qui est sa signature, il se régale à l’image d’un Nicholson dans le Batman de Burton à en faire des tonnes, en phase avec les choix de son réalisateur. Mais Luhrmann fait de la relation entre les deux hommes un pacte faustien où notre jeune héros troque son âme pour l’immortalité de la légende. Comme l’a pointé Guillermo Del Toro sur Twitter, la séquence où l’accord entre Elvis et Parker est scellé se déroule dans une fête foraine, tisse des liens avec les deux versions de Nightmare Alley (dont l’original était le film favori de Parker). Luhrmann ajoute une bannière de l’attraction foraine le « geek » juste derrière Elvis, quand Parker le regarde. Le geek n’est autre qu’un pauvre hère présenté comme un monstre de foire par des promoteurs peu scrupuleux qui l’abrutissent d’alcool jusqu’à ce qu’il meurt préfigurant le destin tragique du King.



En se focalisant sur la relation toxique entre Elvis et son manager, Luhrmann, son collaborateur de longue date Craig Pearce (Moulin Rouge, Romeo + Juliet et Ballroom Dancing), Sam Bromell et Jeremy Doner laissent beaucoup de personnages sur le bord de la route. L’épouse d’Elvis, Priscilla incarné par l’actrice Olivia DeJonge apparait trop simple et unidimensionnelle, si la scène de leur rupture parvient a être émouvante grâce à l’entente entre les deux comédiens, les contraintes de l’hagiographie l’empêche d’entrer dans un territoire trop adulte. Les relations avec son père, Vernon (Richard Roxburgh) et surtout sa mère Gladys (Helen Thomson) sont à peine esquissées sans doute sous la pression des héritiers. Sa dernière compagne n’apparaissant pas du tout dans le film. En revanche, Luhrmann et ses scénaristes n’occultent pas la façon dont la musique de Presley, – mélange unique de rockabilly, de country, de gospel, de blues et de ballades pop-qui lui a permis de se démarquer a été façonnée par celle de nombreux artistes noirs doués. Ils montrent explicitement que le King à l’image de Prométhée volant le feu aux dieux doit son succès au fait qu’il amena la musique noire à un public blanc dans l’Amérique ségrégationniste des années 50. C’est cette transgression qui fit de lui un artiste sulfureux à ses débuts et l’imposa avant que le Colonel Parker ne l’en éloigne.



Le film est à son meilleur quand il aborde la façon dont les bouleversements sociaux des années 1960 ont affecté l’art et sont devenus un catalyseur pour des pop stars désireuses d’être pertinentes. Elvis à l’époque presque has-been alors que sa popularité déclinait après une série de flops cinématographiques a pris conscience à travers son ami Jerry Schilling (Luke Bracey) qu’il avait besoin d’une cure de jouvence et de se reconnecter avec ses racines en faisant appel au producteur de disques Bones Howe (Gareth Davies) et au réalisateur Steve Binder (Dacre Montgomery) qui avaient travaillés pour James Brown et les Rolling Stones. Toute la séquence des coulisses de l’émission Singer Presents Elvis désormais connue sous le nom de Comeback Special, diffusée le 3 décembre 1968 prévue pour être une émission avec un Elvis chantant des chants de Noël devenu une session Unplugged avant l’heure avec un Elvis en cuir noir qui a cimenté sa stature de star en direct et montré qu’il comptait encore. Cette séquence illustre la tension entre les aspirations du King et les projets du Colonel Parker et marque le triomphe qui rallume un feu intérieur avant la spirale de sa résidence à Las Vegas dans les années 1970 qui le conduira à sa mort prématurée à 42 ans le 16 août 1977.




Sur le plan technique Elvis est un film éblouissant, la directrice de la photographie Mandy Walker (Mulan , Les Figures de l’ombre) donne à chaque décennie un look rétro spécifique souvent flamboyant qui met en valeur le travail remarquable de Catherine Martin, épouse et collaboratrice de Luhrmann à la fois conceptrice des costumes et des décors, qui accompagnent avec des looks caractéristiques la trajectoire du King de ses débuts modestes au style de vie somptueux de la fin de sa vie. Mais le vrai triomphe du film se trouve dans le travail de montage exceptionnel du duo Matthew Villa et Jonathan Redmond qui fait passer comme un rêve les deux heures quarante de ce furieux kaléidoscope. Il faut également saluer le travail des équipes massives d’ingénieurs du son et de technicien qui ressuscite le son d’Elvis pour nos oreilles contemporaines.


Conclusion : Elvis est sans doute trop long, trop mélodramatique, trop tout mais à l’image de son sujet c’est avant tout une fantastique machine de divertissement qui s’envole sur le charisme et l’éclat du triomphe de la performance d’Austin Butler.


PatriceSteibel
7
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le 12 juil. 2022

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PatriceSteibel

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