Le nouveau film de Jacques Audiard est un gros morceau.


Une comédie musicale tournée en studio, à 90% en espagnol et qui explore le monde des cartels mexicains à travers un personnage de femme-trans, le tout avec des stars à l'affiche (Zoe Saldaña et Selena Gomez), c'est ambitieux.


J'ai été plutôt charmé par l'ensemble mais je m'attendais à ressentir des émotions plus fortes. Je vais revenir sur ce que j'interprète comme des défauts d'abord, puis j'essaierai d'être positif parce que même si je n'ai pas adoré le film, c'est pas le genre de chose qu'on voit souvent sur grand écran.


D'abord, puisqu'il faut bien aborder le sujet, la transidentité est avant tout un outil de narration pour le cinéaste. Ainsi, en termes de représentation, j'imagine que les personnes concernées ne se sentiront pas à l'aise face à certains choix, car on peut interpréter ces derniers comme transphobes, selon évidemment la lecture qu'on fait des scènes en question. Je pense (et Audiard le dit lui-même en interview) que Karla Sofía Gascón lui a appris énormément de choses sur le sujet mais que celle-ci n'a pas cherché non plus à trop interférer avec sa vision artistique de la chose. La transidentité représente donc une seconde chance pour le personnage dans le film mais aussi littéralement un changement de corps et de personnalité, ce qui n'est pas forcément réaliste a priori. Mais le film a un ton plutôt proche du mélodrame qui fait qu'on ne se dit pas un instant que c'est conçu pour s'approcher d'une représentation de la réalité. Au niveau de l'intrigue, on sent beaucoup de bienveillance envers le personnage d'Emilia, surtout une fois la première demi-heure passée. Mais j'ai du mal à croire qu'elle s'en sorte aussi bien dans cette nouvelle peau, surtout par rapport au personnage de Jessi qui ne capte rien alors qu'elle a été sa femme.


Et bien sûr, en dehors de sa dimension mélodramatique assumée, c'est une comédie musicale, alors on se retrouve évidemment à l'opposé du naturalisme en termes de ton. La partie musicale du film m'a à la fois emballé et laissé sur ma faim pour deux raisons. Déjà, la plupart du temps, les morceaux sont courts et ne prennent pas le temps de décoller. L'exemple parfait de ce à quoi je pense c'est la semaine d'ouverture où le personnage de Rita parle puis chante et une chorégraphie vient se greffer à la scène qui est de plus en plus proche d'un clip au fil du temps. Seulement il n'y a pas cette explosion propre à bien des comédies musicales, ni cette progression musicale qui personnellement me fait vibrer. Emilia Pérez n'est ni Annette ni Les parapluies de Cherbourg et ça donne un film de 2h10 où le meilleur morceau qui est un gros climax arrive vers 1h20, puis le rythme se calme et il y a beaucoup moins de musique.


Les décors sont souvent réduits au strict minimum et tout est souvent filmé de près avec pas mal de fonds noirs. C'est efficace car la caméra est très mobile et que les chorégraphies sont belles, mais c'est la limite du tournage en studio. La Suisse est représentée par une tempête de neige, on a beaucoup de scènes en intérieur et quand on se trouve sur un marché il fait noir. C'est astucieux en tout cas comme façon de faire, mais une fois qu'on a capté l'entourloupe c'est difficile de faire comme si on avait rien vu.


En revanche ce qui m'a plu, c'est la vision du monde des cartels que le film retransmet en humanisant dans un premier temps un caïd puis en nous montrant les horreurs que ces gens-là commettent. Des horreurs que cette même personne a choisi de combattre après avoir refait sa vie. D'ailleurs pas de doute, on évoque bien le Mexique puisque la police est inexistante dans le film. Les gangs règlent leurs comptes directement entre eux.


Pour le chant, il s'agit souvent d'échanges entre deux personnages et ça apporte du dynamisme aux scènes chantées. Les chansons sont des dialogues qui peuvent entrainer un genre de slogan qui sera souvent répété, rarement des monologues sur les états d'âme des personnages. C'est une utilisation de la musique peu conventionnelle et malgré les défauts que je pointais plus haut, ça reste une démarche honorable et le chant en espagnol c'est aussi une recherche de musicalité.


Je trouve que c'est une histoire aussi originale que touchante avec ses trois protagonistes en quête de bonheur, même si on sent que ça va mal se terminer.


En bref, c'est un film évidemment imparfait mais entre la capacité de Jacques Audiard à se renouveler de film en film et l'originalité des thèmes abordés, j'ai quand même passé un moment plaisant.

GuillaumeL666
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le 22 août 2024

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Guillaume L.

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