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Sortez la B.O. de ce film très vite ou j'me fous en l'air

Le titre parle pour lui-même : j'ai plutôt pas mal apprécié la bande originale d'Emilia Pérez.

Film de cartel LGBTQIA+ et comédie musicale, le long-métrage signé Jacques Audiard, ne déroge pas à ce qui est devenu un des traits caractéristiques de la filmographie du réalisateur d'Un prophète : la volonté de mélanger, de "jouer" avec les genres cinématographiques et d'en brouiller les frontières.

Des Frères Sisters, western introspectif et anti-spectaculaire porté par Joaquin Phoenix et John C. Reilly, à Dheepan, drame social en banlieue et film de guerre sur un réfugié sri-lankais, Audiard m'a toujours bluffé précisément parce qu'il n'aime pas se cantonner à un genre, qu'il aime aller chercher autre chose, pour donner de la consistance et une singularité à ses films.

Quitte, parfois, à virer à l'exercice de style un peu ronflant : c'est d'ailleurs le reproche que j'ai à faire à Emilia Pérez qui, passé la proposition artistique, la mise en scène magnifique et surtout la performance des actrices (Zoé Saldaña et Karla Sofía Gascón sont exceptionnelles) m'a donné l'impression d'une certaine maladresse.


Un film (un peu trop) généreux ?

Le film est généreux : dans ses références, ses thématiques et sa mise en scène. Problème, ça part un peu dans tous les sens. Il est question de cartels, de la situation sociale au Mexique, d'une avocate qui vit mal d'avoir mis ses idéaux de côté pour survivre, de la féminité bien-sûr, de la masculinité toxique, de la transidentité. Le long-métrage peine à digérer et resservir toutes ces thématiques et ces idées en un tout cohérent.

C'est surtout perceptible quand Emilia crée une association pour retrouver les corps des victimes du narcotrafic : si le film semble le présenter comme une tentative hypocrite d'oublier son passé et celui qu'elle fût, Manitas, c'est très mal amené et trop peu développé et tout, dans le film, est rushé. Notamment la transition d'Emilia et son opération, qui sont expédiées en trente minutes. À peine a-t-elle eu son opération qu'on en est aux retrouvailles, à peine en est-on aux retrouvailles qu'Emilia a totalement réinventé sa vie aux côtés de Rita qui vient pourtant de la retrouver.

C'est cette tension entre la richesse du propos - qui fait aussi la force du film - et ce rythme qui éprouve parfois un peu le spectateur.


Chouette film, comédie musicale pas dingue

Autre problème, et pas des moindres, du point de vue "comédie musicale", Emilia Pérez n'est pas vraiment une réussite. Entendons-nous bien : d'abord la musique est excellente et il y a de vrais beaux moments de ce point de vue là.

La scène finale, par exemple : une reprise en espagnol des Passantes de Brassens, par une procession funéraire... Un moment magnifique et un joli clin d'oeil au propos de la chanson.

Ensuite, la mise en scène est géniale et Zoé Saldaña crève l'écran : l'actrice chante, elle danse et sublime des chorégraphies puissantes et riches de sens - la scène du gala est, encore une fois, une claque visuelle. Là où Karla Sofía Gascón livre une interprétation, certes moins impressionnante, mais plus émouvante, plus intense.

MAIS, c'est, en mon sens, l'archétype d'une comédie musicale qui utilise très mal la musique : les chansons sont assez anecdotiques, toutes expédiées en 2 minutes, apparaissant à intervalles réguliers pour paraphraser des choses qu'on sait déjà ou mal dire d'autres choses qu'on ne sait pas (les paroles sont parfois un peu à alambiquée, presque trop sophistiquées). C'est simple : il y a à la fois trop de musique, dans le sens où l'histoire marcherait aussi bien sans, et pas assez, dans le sens où, si c'était une vraie comédie musicale, la musique y aurait beaucoup plus d'importance.

Le contre-exemple, en la matière, c'est sûrement la génialissime comédie musicale Annette de Leos Carax. La musique imprègne le film de A à Z, si bien qu'on ne pourrait pas raconter l'histoire sans elle. Les paroles sont simples, mais magnifiées et investies pour développer des personnages ou des relations (comme la simple mais sublime "We Love Each Other So Much", qui permet de développer l'amour passionnel entre les deux personnages principaux). Bref, voyez ce film.

Au final, Emilia Pérez, c'est un film généreux, par moment très beau, magnifiquement joué et mis en scène, mais aussi assez inégal et confus. Je l'aime exactement pour les mêmes raisons qu'il est imparfait. Voilà maintenant sortez cette B.O. nom d'un chien.

Créée

le 27 août 2024

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