Quelle surprise a été de voir Emilia Perez. Je ne m'attendais pas à un film aussi chantant et dansant. Jacques Audiard nous propose une belle œuvre sur changement d'identité et la dysphorie de genre. Avoir choisi un chef de cartel comme sujet de sa réflexion permet de s'affranchir des clichés éventuels sur les personnes en transition, à l'occurrence les hommes. Nous avons ici Manitas, chef de cartel mexicain, qui a du exacerbé sa virilité durant sa jeunesse pour pouvoir survivre dans son monde, dans la "porcherie". Cacher son autre moi durant des années, le fatigue, le rend malheureux malgré son pouvoir, sa richesse et sa famille. La scène chantée (la plus belle scène du film) où il annonce à son avocate son désir de transition est absolument magnifique. L'antagonisme du corps de ce colosse à la voix usée et du verbe est très beau, très vrai, très juste.

Malheureusement, on peut changer de vie, on peut changer de sexe, d'identité mais notre passé est inébranlable. On ne fuit pas son passé. Et, des mois après son opération, Manitas, devenu Emilia, ressent le besoin de revoir ses enfants, cet affect de parent que nulle volonté ou chirurgie peut oblitérer. Elle revient donc au Mexique pour vivre de façon détournée avec ses enfants et son ex-femme. Elle renoue avec son passé et cela la conduira à sa perte. Car ce n'est pas seulement Emilia qui revient, c'est aussi l'autre moi, Manitas. L'autre moi n'a jamais vraiment disparu. Il est enfoui jusqu'à l'annonce du départ de son ex-femme avec ses enfants. Ici Jacques Audiard a choisi de mettre la famille au centre de la tragédie d'Emilia avec une fin un peu trop tragique et romantique. En effet, n'aurait-il pas été préférable qu'Emilia soit rattrapé par son passé de cartel puisqu'en revenant au Mexique, elle fonde un ONG pour la recherche de victimes mortes de l'activité des différents cartels. Ces derniers peuvent voir d'un mauvais œil son activité et décider de l'éliminer. On ne peut fuir son passé. La "porcherie" l'a vu naître, la porcherie la tuera. Cela aurait fin plus cohérente avec sa vie et le contexte social et politique du Mexique (scène du gala).

Les scènes de chants et de danses sont sublimes, bien mises en scène et très bien écrites. Une seconde scène magnifique est celle de la chanson que chante la petite de Manitas à Emilia en lui disant qu'Emilia a l'odeur de son papa. Très touchant. Petit bémol pour la scène du karaoké qui est un peu superflue je pense. On y ressent rien et n'offre pas une empathie particulière pour les deux amoureux.

La tragédie d'Emilia est que, malgré sa fortune, son changement d'identité, sa volonté d'une nouvelle vie, elle est liée à vie à son milieu social d'origine qui est, pour elle, synonyme d'une mort certaine. On ne peut fuir son passé, l'image de la fusillade où de la fumée "s'échappe à l'envers" du bâtiment, remontant le temps. Cette scène rappelle celle du cabanon dans le désert de Lost Highway de David Lynch. Ce passé qui semblait être évaporé, parti en fumée, revient à elle et l'emporte à jamais.




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