Hearts and darkness
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Sam Mendes... Comment vous dire... S'il y a quelque chose qui me plait assez chez ce cinéaste, c'est qu'il ne prend pas pour un autre. Quand il tient à noter que son travail relève plus du management qu'autre chose, qu'il a du mal à se sentir vraiment "artiste", il a cet honnêteté de se montrer plus comme un chef d'entreprise qu'en mini-Coppola du jour. Une modestie, fausse sans doute, qu'on aimerait que d'autres adoptent (Denis Villeneuve ou Christopher Nolan pour ne pas les citer, qui se prennent vraiment pour les Kubrick du moment alors que non, les gars, sûrement pas...) et qui ne l'empêche de fournir du bon boulot.
Passons sur ses James Bond sans intérêts, sur son 1917 où il fait son Nolan justement, tour de force technique sans âme qui m'a laissé de marbre et regardons ce qu'il a fait d'autre, et de pas mauvais d'ailleurs: Les noces rebelles, Jarhead, American beauty ou Les sentiers de la perdition. Mmouai, de mon point de vue pas de quoi affoler le palpitant du télespectateur lambda du dimanche soir.
Cinéaste plan-plan qui sait faire parler la poudre quand on lui en donne les moyens, Mendes n'a pas peur non plus des grands sentiments. Empire of light, qui nous emmène dans l'Angleterre de sa jeunesse ( le début des années 80) et plus précisément dans un cinéma somptueux installé dans une petite ville balnéaire du Sud. Un petit charme rétro qui fonctionne en plein: salles rococo, doubles projecteurs à charbons, grand hall avec guichet de friandises au milieu, et même des vrais gens pour vous souhaiter la bienvenue et vous enlever le petit coupon de votre ticket d'entrée. A l'affiche, Les chariots de feu, Raging bull, tout ça.
Le cinéaste s'est sans doute fait plaisir de réanimer ce petit monde, à nous aussi il fait bien plaisir, mais le sujet n'est pas là. Au centre du film il y a Hillary, quadra célibataire un peu tristoune qui va vivre le grand frisson amoureux avec le jeune Stephen, nouvelle recrue du cinéma Empire, avant que nous soit révélé le mal profond dont elle souffre, une dépression carabinée.
Mieux, Hillary est interprétée par une des plus grandes comédiennes d'aujourd'hui, la magnifique Olivia Colman. Sans elle, qui passe d'une humeur à l'autre et se transforme de furie blafarde en amante à croquer en un clin d'oeil, disons que le film aurait moins d'allure.
C'est fou, mais l'histoire d'Hillary aurait très bien pu se passer à une autre époque et dans un autre environnement. Il y a eu comme un excès de communication autour de l'aspect autobiographique du film, sans doute pour fasse son sillon derrière ceux de Spielberg, Gray ou Anderson qui, eux, parlaient précisément de leurs propres histoires.
Pas grave tout ça, et si le film nous rappelle à ce qu'était l'Angleterre de cette période, sur fond de thatcherisme odoriférant et de montée du National Front, on s'en fout un peu. Soignant ses images comme sa mise-en-scène, bien souvent élégante et dépourvue de chichis, Empire of light n'est rien d'autre qu'une belle histoire d'amour un peu impossible (les épisodes dépressifs, l'écart d'âge entre les deux amants) avec de très jolis passages et un final émouvant comme il faut. Avec poème de Tennyson et tout.
Derrière, les solides Toby Jones et Colin Firth apportent leur savoir-faire coutumier, le premier en projectionniste discret et tatillon, qui se fend d'un petit exposé sur l'"effet Phi" en projection cinématographique (principe psychologique qui fait que notre cerveau ne perçoit que l'enchaînement des 24 images par seconde en occultant les noirs entre elles), filant la parfaite métaphore du mal d'Hillary qui, elle, ne parvient pas toujours à oublier le noir sans sa dose de lithium, le second absolument parfait en mufle fan de la branlette et du petit coup rapide sur son burlingue, un comédien trop glamour qu'on rêvait de voir enfin débraguetté en Harvey Weinstein des bacs à sable. Bravo, Colin.
Un très beau film, tout à fait oubliable mais porté par la crème de l'english play, la meilleure au monde, indeed.
Créée
le 19 mars 2023
Critique lue 13 fois
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