Je le fais très peu ces dernières années : pourtant, revoir de temps à autre un bon vieux classique, ça fait vraiment du bien, et qu'importe qu'il soit « qualité France » ou conspué par la Nouvelle Vague (j'aurais même presque envie d'écrire : tant mieux!). C'est clair, fluide, bien construit, écrit et traité avec intelligence, le remarquable savoir-faire de Claude Autant-Lara et le sens aigu du montage étant toujours au service du récit comme des personnages. Les dialogues n'en font jamais trop, on sent la patte diablement efficace de Jean Aurenche et Pierre Bost pour offrir des répliques percutantes, peinture de la haute bourgeoisie mordante sans être méprisante, les « prolétaires » n'étant pas spécialement épargnés.
Chaque protagoniste a sa part d'ombre, quitte à légèrement « surjouer » leur comportement à moitié crédible, mais prenant toujours le soin de le justifier, évitant aisément la caricature pour faire de chacun d'entre eux une figure complexe et finalement assez attachante, dont on comprend toujours les intérêts (très divergents) et les risques. Il y a un vrai soin apporté à chacun, du duo star aux rôles beaucoup plus modestes, Autant-Lara abordant beaucoup de sujets sans jamais être trop explicite ou moralisateur, s'offrant même quelques audaces particulièrement marquantes pour l'époque, dont un
plan à trois
suggéré de façon bien plus probante qu'une longue scène démonstrative dont raffole les réalisateurs contemporains.
Jean Gabin, dans un registre qu'il maîtrise par cœur, est parfaitement dans le ton, armure « inviolable » constamment prête à se fissurer, le jeu et la diction si caractéristique de Brigitte Bardot, que plus personne n'oserait aujourd'hui, apportent un charme supplémentaire, et l'on peut parfaitement comprendre la passion dévorante, aussi sobre soit-elle, de notre avocat. Non, vraiment, même si l'on peut toujours émettre quelques réserves (sans doute concernant le personnage de Mazetti et sa logique de
Deus ex machina,
mais pouvait-il en être autrement et, surtout, je trouve cette « sous-intrigue » elle aussi pensée avec habileté), « En cas de malheur » se révèle très ancré dans son époque tout en apparaissant étonnamment universel, presque moderne, et un modèle de classicisme.