(Bonjour ! Eh oui ça faisait longtemps :)

Où commence la corruption ? Où s'arrête la justice ? Jusqu'à quel point votre statut social peut-il vous protéger d'avoir commis avec sang-froid le plus terrible des crimes ? Jusqu'où vos désirs fanatiques de justice et de pureté morale peuvent-ils venir contrebalancer la difficulté d'assumer ce que vous avez fait ? Et surtout jusqu'à quel point votre position peut-elle vous conduire à semer consciencieusement les preuves les plus flagrantes de votre culpabilité pour prouver que vous êtes au-dessus de tout soupçon ?

Ce sont toutes ce genre de questions que pose Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto film italien de 1970 réalisé par Elio Petri avec Gian Maria Volonté dans le rôle-titre. Petri y reprend dans sa trame certains aspects du Giallo en nous présentant un couple d'amant composé d'un commissaire et de sa maîtresse fantasmant la profession de son amant dans l'acte charnel (interrogatoire musclée, mise en scène de scène de crime) et dans la vie de tous les jours via sa capacité à se placer au-dessus de la loi, le poussant à commettre de légers délits comme griller un feu rouge. Tout en faisant des allusions au fait qu'il pourrait la tuer et profiter de sa situation pour qu'on ne prouve jamais sa culpabilité. Ainsi on comprend au grès de flashbacks parsemés tout au long du film que cette maîtresse incarnée par Florinda Bolkan, semble avoir réveillé chez le commissaire une sorte de passion tenant presque de la folie -comme lui-même l'avouera dans ses rêves- causée également par le surplus de pouvoir qu'il détient. Cette folie se traduit par un fanatisme pour l'ordre et la discipline "la répression c'est la civilisation" clame-t-il dans un discours quasi mussolinien, en même temps qu'un goût pour l'abus du pouvoir qu'il détient par son statut fraîchement reçu de "commandement du bureau politique de la police".


Ainsi dans le fond l'aspect Giallo du film n'est que prétexte, postulat de base à une critique socio-politique de fond du milieu policier italien de cette aube des années 70. Auteur d'une œuvre politique très engagée et membre un temps du parti communiste italien -tout comme Gian Maria Volonté avec qui il collabora à de multiples reprises- Elio Petri livre un film ayant également pour toile de fond une vaste opposition des différents mouvements communistes alors en vogue et d'une force de police à laquelle il attribue des traits et des prises de paroles montrant une sorte de fascisation. Ainsi dans une scène assez intéressante se déroulant dans le commissariat de police, un des gardiens de l'ordre liste année après année les personnalités politiques évoquées sur les différents graffitis qui ont recouvert la ville de Rome au cours des années, Staline laissant place peu à peu à Mao. L'Italie et l'Europe se trouvant alors en plein mouvement maoïste, on y voit les étudiants manifestants du film montrés en train de brandir le petit livre rouge de Mao (les pauvres, s'ils savaient).

De l'autre côté du spectre le commissaire joué par Gian Maria Volonté, clame comme déjà dit la répression dans un discours ou la mise en scène et le jeu de l'acteur rappelle le dictateur italien. A cela s'ajoute la mise en scène d'une immense salle d'archive renfermant des milliers de dossiers de citoyens surveillés par la police, pour leur idée politique. Élément qui se réfère à une réalité de l'époque puisque des millions de citoyens italiens étaient alors placés sur écoute.


Gian Maria Volonté propose d'ailleurs un rôle bluffant retranscrivant à merveille la névrose gagnant peu à peu le personnage. Jusqu'ici davantage connu pour ses westerns, il incarne ici un personnage que le pouvoir rend fou, au point de commettre cet assassinat consenti, et de défier l'autorité et ses collègues en laissant trainer des énormes indices qui ne peuvent conduire qu'à une suspicion certaine, mais qui pourtant sont mis de côté par ses mêmes collègues ne pouvant s'imaginer que leur commissaire puisse être coupable. Cette folie et absence possible de culpabilité elle s'incarne dans la "fausse fin" mais la seule que nous avons, où dans une sorte de réquisitoire inversé Gian Maria Volonté passe à tous les aveux devant ses collègues de la police, qui quant à eux affirme l'inefficacité de ces preuves, scène surréaliste et quasi humoristique montrant la névrose du personnage qui l'avoue alors et laisse s'avouer la schizophrénie de ces sentiments partagé entre la capacité qu'il a de s'innocenter et sa volonté obsessionnelle de justice, parlant ainsi de "purification" de la police et de la corruption qui l'a envahie.

Le personnage se fait également cruel lorsqu'il abuse de son autorité auprès des petits gens ou lors d'interrogatoire musclé avec des étudiants contestataires.

Parmi ces étudiants se cachent cependant un os de taille, le seul témoin pouvant assurer la culpabilité du commissaire et que le commissaire ira jusqu'à supplier de tout avouer, en vain. Par ailleurs, voisin et lui aussi amant de l'assassinée, cet étudiant a croisé l'assassin avant que celui-ci rentre chez sa maîtresse. Maîtresse qui elle-même profite de l'opposition entre les deux hommes pour tourner en ridicule le commissaire et vanter les prouesses du jeune étudiants comparés à Volonté. De même manière elle le surnomme "bambino", le compare à un enfant, donnant une autre dimension à cet abus de pouvoir du personnage, celle d'un homme qui cherche à se prouver à lui-même, ou qui a besoin de compenser peut-être un manque d'assurance, dans des pulsions presque infantiles.


Enfin soulignons la musique d'Ennio Morricone, qui signe ici une partition fiévreuse, quasi omniprésente et traduisant la tension et la folie qui gagne peu à peu le personnage. Qu'il qualifie lui-même comme "une musique grossière/populaire pour instrument pauvre".

Elio Petri réalise ici le premier volet de sa trilogie des névroses, s'attardant donc sur la névrose du pouvoir. Dans sa mise en scène on retrouve aussi un goût pour les trop gros plans assez dérangeant et créant une sorte de gêne, de malaise ; inhérent au sujet du film. L'année suivante en sortira le deuxième film la classe ouvrière ira au Paradis avec le même acteur dans le rôle principal, incarnant de manière diamétralement opposé un ouvrier d'usine, bourreau de travail…

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le 4 juin 2024

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