Plus c'est long moins c'est bon ?
"J'ai eu une éducation athée mais, comme la plupart des athées, vers la fin de l'adolescence, quand on commence à fumer des joints, on commence aussi à se poser des questions sur la mort et sur l'existence d'un au-delà éventuel", indique Gaspard Noé dans le dossier de presse d'Enter the void.
"Cette peur de la mort s'estompe en grandissant, mais les premières idées de faire un film sur ce qui se passe après la mort du personnage principal viennent de cette époque-là. Plus tard, vers 23 ans, j'ai découvert sous champignons La Dame du Lac (Robert Montgomery, 1947), qui est un film entièrement en vision subjective et, tout d'un coup, j'ai été transporté dans la télé et dans la tête du personnage principal, bien que le film soit en noir et blanc et sous-titré"...
Noé a aujourd'hui 46 ans. Son cinéma a gardé de l'adolescence une vitalité, un goût du risque et de l'expérimentation, une sorte de nihilisme créateur mal dégrossi qui rendent sa voix unique et essentielle à mes yeux dans notre petit paysage cinématographique national. Mais il a aussi conservé une puérilité et un goût de la provoc à deux balles franchement agaçants. Enter the void passe à côté d'un grand film : il est juste excellent.
Soit le chemin de l'âme d'Oscar, des instants qui précèdent sa mort après un deal de drogue foireux, jusqu'à sa réincarnation, en passant par sa longue veille entre deux mondes et autour de sa soeur, qu'il a promis de ne jamais abandonner.
Faire un film une oeuvre de cinéma, c'est débaucher une profusion de moyens (humains matériels, techniques, financiers) et d'effets pour retranscrire l'expérience humaine. Etre réalisateur, c'est avoir une caméra avec soi, dans sa tête, se dire que la vie ferait un bon film, qu'il y a forcément un geste, une attitude, un angle, un son novateurs à trouver pour filmer un baiser, un tressaillement, une larme, un coup de feu ou la traversée d'un passage piéton. Etre spectateur, c'est accepter de rentrer dans l'imaginaire d'un autre tout en nourrissant la vision du film de ses propres affects et intellects, de son propre vécu. Le cinéma est métampsychose et psychomenteum, le miroir dans lequel nous nous reflétons tous à tour de rôle. Enter the void conjugue ces instances dans une expériences fascinante qui continue de s'imposer, une nuit après sa vision. Quelque part entre livre Tibétain de la vie et de la mort, le stupre, les trips, le lien ténu entre Eros et Thanatos, la violence, la caméra entièrement en vue subjective et aérienne, une vie racontée, les néons de Tokyo. Il est l'un des chaînons manquants entre 2001, l'Odyssée de l'espace et Speed Racer, en passant par Blueberry de Kounen : un spécimen du cinéma-bulle qui distord l'espace-temps à sa volonté par la grâce du numérique (c'est un peu ma marotte en ce moment, toujours pas remis du carambolage Speed Racer, et de combien il me fait apprécier d'autres expérimentations, comme L'année dernière à Marienbad etc. Pour comprendre, lire mes écrits ici et là ). Dans ETV, il ne s'agit plus seulement d'intellect et d'affect, mais de retranscrire l'organique, parfois jusqu'au point de rupture (lire en conclusion). L'un de ces films qui me conforte dans l'idée qu'Avatar n'a de révolutionnaire que l'enrobage 3D - mais aussi que le cinéma peut rebondir radicalement et continuer de mûrir un siècle après sa naissance.
Dans la première partie, la plus réussie, le spectateur est majoritairement placé 40 ou 50 cm derrière le personnage qui - juste avant de mourir - voit sa vie défiler devant lui. D'abord frustrante, cette distance imposée s'avère l'exacte mesure nécessaire pour nous placer en position de projecteur / juge d'Oscar quand Noé se contente de retracer les événements clés d'une vie dérisoire. On s'amusera de voir avec quel ludisme est pensée la psychanalyse Freudienne, et, mine de rien, avec quelle sensibilité sont traités des bouts de vie intimistes. Avant de s'étonner, sourire ou se gausser des parallèles entre bouches d'égouts, chiottes et vagins comme origine et fin du monde/vide.
La deuxième partie, celle où Oscar commence à bad-tripper/cauchemarder en prenant conscience de toutes les implications de sa mort et va chercher à se réincarner, est moins accrocheuse, plus aérienne, et surtout bien trop loooongue pour son propre bien. Facile 20 minutes en trop (le film fait 2h30). Allez-retours aériens interminables au dessus de Tokyo, gimmicks de mise en scène répétitifs (transitions ente différents espaces-temps par l'intermédiaire d'ampoules, flammes et sources lumineuses en général) finissent par agacer. Jusqu'au ridicule : un plan d'éjaculation vu de l'intérieur d'un vagin, gland en gros plan compris. L'une des marques de puérilité qui plombe lourdement une scène jusque là magistrale.
Du coup je suis bien en peine de savoir si c'est un chef d'oeuvre ou un grand film, mais je sais qu'il intégrera le sommet de ma DVDthèque illico.