Entretien avec un vampire, comme le roman duquel il est adapté, a plusieurs niveaux de lecture, l'un d'eux étant le désenchantement d'une génération fin de siècle, le XVIIIème en l’occurrence, qui ne sait plus à quelle société elle appartient, coincée entre la décadence des années 1700 symbolisées par un Lestat libertin et gorgé d'esprit des lumière pour le meilleur ou pour le pire, et un nouveau siècle incertain qui ne semble n'offrir aucune perspective si ce n'est une mélancolie profonde et un désespoir viscéral.
C'est dans cette incertitude d'un Enfant du Siècle que l'on trouve le héros, Louis de Pointe du Lac, aristocrate créole romantique esseulé dans sa plantation où tout est trop grand pour lui, sa propriété comme le vide laissé par la perte de sa famille. Qu'à cela ne tienne, un vampire va lui en fournir une autre.
Car oui, il s'agit en réalité d'une histoire de famille: celle perdue et celle recomposée. Lestat et Louis, "one happy family", vont traverser les ans façon couple bourgeois à éduquer leur vilaine fille qui va faire plein de "bêtises" et plein de "caprices " ("I want to be her") qui vont les mener à leur perte. C'est aussi une histoire d'amour, une histoire complexe pleine d’ambiguïté et de ressentiment. Lestat et Louis - Louis et Claudia. Qui va gagner le match pour obtenir le cœur brisé du beau Louis?
Et c'est là que naît un autre attrait du film, la violence psychologique associée à l'atroce douleur de l'éternité. Quand on ne meurt pas, on souffre encore plus de l'absence et de la perte, on brûle encore plus du désir et de la jalousie, et dès lors la colère, la haine, la vengeance explosent et détruisent tout sur leur passage.
Évidemment, cela va mal finir.
Les histoires d'amour finissent mal chez les non-morts.
Visuellement, on retrouve tous les poncifs des films de vampire classiques: de beaux décors d'intérieurs aristos, de superbes tenues de velours et de soie, de sombres cimetières pour se terrer et des cercueils bien pratiques pour dormir. Mais le monde moderne avec ses machines infernales, ses tenues peu saillantes et ses bruits infernaux est là pour nous rappeler qu'ils vivent dans le réel autant que les humains, et qu'une voiture qui pétarade ou une salle de cinéma bondée sont autant leur monde que les soirées de l'ambassadeur.
Personne n'est vraiment le méchant ou le gentil, tout le monde veut être aimé, et chacun essaye de jouer sa partition dans un univers qui au final n'est pas le leur. C'est le règne de la solitude, de la confrontation et de la mort flottant en permanence au-dessus de leurs têtes comme une menace inévitable pour certains ou une promesse de meilleur pour d'autres. (Anne Rice avait écrit cette histoire à la mort de sa fille. La petite Claudia en est le double maudit.)
Satire d'un passé décadent et d'un présent dévasté, cette histoire nous plonge dans l'univers désillusionné de personnages qui ne peuvent se raccrocher à rien ni à personne et qui à l'instar de Louis errent dans notre monde comme les fantômes de leur propre existence.
Comme nous tous peut-être.