Déjà familier des loups-garous (The Company of Wolves) et des fantômes (High Spirits), le surnaturel relevait du naturel pour Neil Jordan. Le vampire eut aussi ses faveurs avec Interview with the Vampire, scénarisé en les circonstances par Anne Rice… soit l’auteure du roman éponyme qu’il adaptait. Une œuvre pionnière dans le registre « romantique », troquant le costume de buveur de sang primal pour celui du tourmenté, conscient qu’il est d’avoir été dépossédé de son humanité.
Dans les pas du livre originel, le long-métrage adopte ainsi le point de vue de Louis de Pointe du Lac, vampire de son état vieux de deux siècles évoquant sa vie auprès d’un jeune journaliste : un entretien atypique pour un récit l’étant tout autant, le scepticisme recevable de Daniel Malloy ayant tôt fait de céder le pas à une vive fascination. Car Louis, sous la férule de ce drôle d’épicurien qu’est Lestat, d’ailleurs animé de tendances un brin chaotiques, s’aventurera dans la « grande nuit » dans une trajectoire infiniment tragique : du deuil de l’être aimé à celui de sa propre mortalité, il aura suffi d’une paire de crocs assoiffés et d’une volonté lésée.
Interview with the Vampire est plutôt conforme à nos souvenirs : toujours captivant et capitalisant de son mieux sur son duo de vedettes rutilant, Brad Pitt et Tom Cruise, toutefois sans que ceux-ci ne crèvent vraiment l'écran. Mais leur osmose se mesure à l’aune du contraste définissant le couple immortel qu’ils incarnent : Louis est pareil à la glace, froid et désabusé, tandis que Lestat brûle la « vie » dans une quête sans limite du plaisir (il le fera d’ailleurs littéralement), dépourvue de culpabilité. Une somme de dualités contraires apportant son lot de débats et confrontations : une situation volcanique qui s’apaisera brièvement dans le sillage de Claudia, jusqu’au point de rupture final.
Le second acte, délocalisé en grande partie à Paris, déçoit pour sa part : exception faite de cette représentation théâtrale glaçante de « réalisme », la rencontre avec Armand et sa cohorte de damnés fait chou blanc au gré des atermoiements de Louis et d’incongrues menaces. Bien que le dénouement réservé à Claudia et Madeleine (expédiée en deux coups de cuillère à pot) soit terriblement marquant, la tension ne sera que partiellement exploitée et la vengeance éclair de Louis, trop facile en les circonstances, tiendra du pétard mouillé.
Armand finalement éconduit, Louis s’en retournera, esseulé, dans sa Louisiane natale : passé et présent finiront ainsi par se rejoindre et Daniel, profondément subjugué, ne trouvera rien de mieux que de le supplier de le transformer. Une volonté nous dépassant quelque peu, l’effet constant d’ambiguïté recherché par Jordan et Rice paraissant forcé ici : ou un énième clou dans le cercueil d’une deuxième partie de long-métrage décidément en deçà du reste. Et ce n’est pas Lestat qui y changera quoi que ce soit, l’ultime soubresaut de Interview with the Vampire manquant paradoxalement de mordant.