EO fait partie de ces films qui font ressortir muet d'une salle de cinéma, de ces films devant lesquels il y a la promesse de ne pas laisser parler les émotions mais où devant la puissance de la proposition, les larmes coulent inévitablement.
Au cinéma les animaux ont cette capacité incroyable de susciter une empathie bien plus poussée auprès du spectateur que les humains. L'aspect tire-larmes est donc propice à être exploité mais Jerzy Skolimowski réussit véritablement un petit miracle avec EO par le fait d'éviter ce piège de l'émotion facile afin que son odyssée tragique soit portée uniquement par sa beauté aussi déchirante que stupéfiante.
Les questions de l'inversement du point-de-vue et du corps étranger traversant un espace-temps qui ne le comprend pas sont évidemment centrales dans le film. Skolimowski trouve une sincérité émotionnelle absolument incroyable en adoptant une perspective très intime du corps et de l'esprit en se plaçant à la hauteur de EO afin de ne faire plus qu'un avec lui, afin de voir ce qu'il voit et d'appeler le spectateur à assister frontalement à ce même spectacle macabre, malade et cruel que cet âne de cirque dans la beauté et la dureté d'un recit intemporel.
EO est un animal qui traverse simplement le film, il traîne sa carcasse où les hommes décident de son destin dans un monde agressif, malveillant et dangereux. Au travers de plans magnifiques sur ses yeux où son parcours incertain se dessine, au travers de sa musique grandiose et profondément mélancolique, ses moments de montage abstrait vertigineux, son exploration du genre horrifique et surréaliste, EO est pensé comme un voyage profondément mémorable dans un onirisme tragique où l'espoir n'existe pas. Il ne reste que la confrontation directe face à un monde témoin de sa propre destruction : l'euphorie laisse place au sang et à la folie, l'amour laisse place à l'abandon.
L'impuissance et la douleur provoquées par le silence sont les seules compagnies dans la maltraitance et les traumatismes. Pourtant malgré les souffrances subies, Skolimowski ne dépeint jamais ce dernier comme un martyre mais comme une âme acceptant son sort et regardant avec distance l'Homme comme les animaux devenir fous, devenir leur propre tortionnaire dans une réalité qu'ils croient contrôler et où il se sentent puissants.
EO est captivant et déchire le cœur. Une beauté étrange et pure s'exalte de son errance narrative où la réalisation aussi magistrale que humble sait s'ancrer profondément dans la mémoire du spectateur.