Honteusement méconnu dans la carrière du grand et regretté Sidney Lumet Equus est un film remarquable à plus d'un niveau. D'une densité psychologique suffisamment rare pour être soulignée, d'une élégante beauté formelle et d'un pouvoir de fascination présent jusque dans son titre énigmatique et symbolique Equus reste néanmoins une oeuvre de cinéma aux abords difficiles. En effet Sidney Lumet ne choisit aucune ficelle susceptible de faciliter le visionnage de son drame hautement métaphorique : rythme volontairement soutenu, photographie jouant sur les teintes sobres et tièdes, longues séquences aux dialogues un tantinet didactiques, musique utilisée avec parcimonie, sujet de la psychanalyse pas forcément sexy ni même attrayant... Equus est indubitablement un film qui se mérite, une oeuvre terriblement pessimiste faisant figure de petit cas d'école dans le paysage du cinéma des années 70.
Le film parle entre autres choses de frustration et d'amour impossible, partant du dispositif initial du huis-clos théâtral pour mieux le dynamiter dans un second temps. Lumet filme la relation houleuse et douloureuse unissant un psychiatre à son patient, montrant avec une finesse saisissante les limites et les dangers de l'empathie. Nous aurons d'une part un médecin passablement spectateur de son existence et d'autre part un adolescent névrotique fredonnant des réclames insipides avant d'accoucher des passions qui l'animent... Alternant intelligemment entre séquences intimistes et projections mentales Sidney Lumet développe un véritable drama mâtiné des obsessions mythologiques du personnage du psychiatre.
Ode tragique à la passion et à son incapacité à s'exprimer librement Equus saisit, dans son magnifique dernier quart d'heure, toute la tristesse du monde concentrationnaire de la psychiatrie : le jeune Alan ( Peter Firth, extraordinaire ) symbolise à lui seul toute la génération d'"oranges mécaniques" vouées à devenir profondément apathiques et anesthésiées. Equus est un film lent, lourd mais salutaire si l'on accepte de jouer le jeu d'une oeuvre délibérément exigeante et un brin rébarbative. Un grand drame, à ranger entre Vol au dessus d'un nid de Coucou et L'oeuf du Serpent de Bergman : superbe.