Sergio Leone grandit Viale Glorioso, à Rome, dans les années 30. À l'âge de 19 ans, il écrit son premier scénario, une histoire de rite de passage autobiographique auquel il donne le nom de la rue de son enfance. Au milieu des années 60, après « Pour une poignée de dollars », il envisage d'en faire son prochain film. Une œuvre personnelle, avec des bambins partout, sa fresque serait sombre et intimiste.
Pourtant, il renonce.
« I Vitelloni » de Frederico Fellini, sur un sujet proche mais plus léger, sera l'excuse qu'il servira à qui veut l'entendre. Leone lui, évoquait les pupi siciliani (marionnettes siciliennes), les jeux d'enfants dans les ruelles romaines, les bd américaines clandestines qu'il dévorait et les après-midi passés au cinéma de quartier, devant des Buster Keaton, des Chaplin, "La Chevauché fantastique" de John Ford ou "La piste de Santa Fé" de Curtiz.. Même s'il ne le réalisera jamais, ce qui devait être une histoire d'amour avec le cinéma, il lui contera fleurette dans tous ses films et parsèmera toutes ses œuvres des réminiscences de son enfance. Le concours de « celui qui pisse le plus loin »en préambule d' "Il était une fois la révolution" pour ne citer que ça.
Tu ne m'empêcheras pas de penser que le succès inespéré de son western, la perspective d'explorer plus avant ce genre qu'il contribue à réinventer et, surtout, les montagnes de dollars qui se dessinent à l'horizon à l'idée d'une suite, sont des excuses plus acceptables.
Or, il ne tournera pas de suite. Seul le titre original, « The Bounty Killers », sera transformé pour entretenir la filiation.
En combinant mythe et réalité, Leone avait approché un territoire qu'ils sont peu à fouler du pied. La lisière du rêve. Sa générosité, sa truculence, son sens du cadre ont pu y exploser à la face du monde et devenir la référence d'un cinéma populaire à l'européenne.
Il sait que le monde n'a encore rien vu.
Les coudées franches, assis sur un budget confortable, il prend presque les mêmes et remet le couvert.
Clint n'est plus cet acteur américain de série télé qui ressemble au Django de Corbucci, Eastwood est devenu une star. «Et pour quelques dollars de plus» enclenche son iconisation.
Il est le Manchot, un chasseur de prime, personnage plus épais que le précédent qui n'était qu'une sorte de spectre. Plus drôle, aussi.
Gian Maria Volonté, fiévreux, suintant, dégoulinant, est l'Indien. Qu'il crache son mépris ou laisse éclater son rire exubérant, il est de retour pour un rôle de méchant dégueulasse, tourmenté par ses actes passés, que la mélodie de sa montre boîte à musique fait rejaillir comme une malédiction.
Lee Van Cleef est le Colonel Mortimer, chasseur de prime lui aussi. Et il éclabousse tout ça de sa classe malsaine. Le regard perçant, il est impitoyable et habité d'une mission plus noble que le tiroir caisse. Il faut le voir craquer son allumette sur la bosse de Klaus Kinski au moins une fois par an. Enfin moi, c'est ce que je fais.
Divertissement au souffle baroque dévastateur, Leone emprunte quelques éléments aux films qu'il aime, le Vera Cruz d'Aldricht notamment. Quand on voit Mortimer s'en aller solitaire, abandonnant son butin à son rival plus jeune, difficile de ne pas penser à Gary Cooper et à Burt Lancaster.
Morricone compose comme s'il faisait chanter des anges, à base de sifflotements, et les images sont tellement granuleuses (D.Dallamano) que t'es obligé de tousser.
Un film prophétique qui annonce un chef d’œuvre à venir.
Le monde n'a encore rien vu.(T'inquiète le monde, ça vient)