Eugénie Grandet est une des saveurs littéraires qui ont émaillé mon adolescence. Mais cette dernière étant loin, je n'ai pas de souvenirs assez précis pour pouvoir me lancer dans une comparaison œuvre littéraire-adaptation cinématographique. Et même, en admettant que mes souvenirs soient vivaces, cela n'aurait aucun intérêt que je me lance là-dedans, car une bonne adaptation peut donner un mauvais film, une mauvaise un bon, une bonne un bon, une mauvaise un mauvais ; il n'y a aucune règle immuable dans ce domaine.


Ce paragraphe d'introduction pour dire que je ne porterai ni au crédit, ni au discrédit le fait que ce soit une adaptation libre du roman d'Honoré de Balzac (comme c'est indiqué lors du générique de début !). Les seuls et seules qui peuvent être contrarié(e)s par cet état de fait sont ceux et celles au lycée qui espéraient éviter de devoir lire le résumé complet sur Wikipédia pour les besoins du bac.


Bref, que dire d'Eugénie Grandet de Marc Dugain ?


Déjà, remplissez-moi cette soupière. Une soupière pleine ne se porte pas comme une plume et quand on en touille l'intérieur supposé être rempli avec la louche, il y a forcément quelques gouttes de liquide fumant plus ou moins épais qui s'accrochent.


Ensuite, mettre du féminisme chez Eugénie, dans ses actes, qu'elle se révolte, d'accord, mais faire sortir de la bouche d'une provinciale de la France de Louis XVIII n'ayant jamais eu l'occasion de sortir de son trou paumé (manière de parler, Saumur, c'est très joli, je kiffe !) des raisonnements qui font trop MLF cru années 1970, c'est peu crédible.


Le film est bien meilleur quand il se concentre sur ce cher Félix Grandet et son petit péché capital, le plus économe des vices, j'ai nommé l'avarice. Même si certains dialogues sont trop stabilotés pour bien faire comprendre combien c'est une pourriture viciée par l'argent et qu'il est vraiment pété de thunes (montrer ou faire comprendre subtilement est souvent mieux que de dire au cinéma !), les moyens opportunistes et futés qu'ils utilisent pour augmenter sa fortune et son patrimoine sont bien exposés, sont de l'essence balzacienne la plus pure. Et Olivier Gourmet dans le rôle de ce Picsou saumurois se démerde aussi bien pour exposer son talent, à l'aise dans la truculence, que son personnage pour accumuler les sous-sous dans la popoche.


Il pique même la vedette à Joséphine Japy, pouvant plus heureusement briller sur la fin quand son personnage intègre une forme de cynisme réaliste. Son côté sentimental est moins réussi, pas par la faute de la comédienne, mais plus parce que le scénario expédie un peu trop vite cet aspect des choses, n'arrivant pas à bien le mettre en relief, ne lui permettant pas de dégager la moindre alchimie entre les deux cousins, ne prenant pas le temps de le développer pour imprimer le tout.


Reste que je n'ai pas globalement détesté, je tiens à le préciser. Le recours assez efficace et habile de l'ellipse fait que ce n'est jamais empesé, académique (ce qui est souvent le souci avec les films d'époque !). La photographie, les décors et les costumes sont de la qualité française, mais de la bonne qualité française, car ne se la pétant pas en donnant l'impression de chercher à insuffler la belle image à tout prix au détriment de l'histoire, de son atmosphère et de son rythme (non, c'est l'écriture qui n'est pas à la hauteur !). Tout de ce côté-là est au service du film et c'est un bon point pour moi.


Allez, vous ne refuserez pas une bonne petite louchée de balzacien qui ne fait pas de mal, faute d'avoir ici un goût mémorable et d'être bien consistante ?

Plume231
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le 27 sept. 2021

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