Voilà un film de SF comme je les aime : scientifiquement crédible (à quelques exceptions près : la gravité sur Europa), cherchant un effet de réalisme à courte distance, exaltant les vertus et les failles de la science, tentant de conserver ce "sense of wonder" auquel j'associe la SF... en ne cherchant pas à quantifier, de manière absolue, définitive, l'inconnu.
Visuellement, c'est assez intéressant aussi : quoique je ne sois pas fan des "found footage" à la Blair Witch, il faut avouer que la reconstitution de l'épopée funeste de ces astronautes crée une bonne tension dramatique. On a beau pertinemment se douter de la fin désastreuse de cette valeureuse équipée qui, au nom de la science et de la volonté de faire progresser le savoir, fait maints sacrifices, on se laisse prendre au jeu de ce montage qui mêle reportages, images de la NASA, webcam, films pris par les astronautes, prises de vues extérieures du vaisseau, interviews... sans doute d'autant plus que l'ensemble est visuellement inventif - le budget, limité, force à des choix que j'ai trouvés intéressants, notamment tous ces plans jouant avec les différentes perspectives du décor, les jeux d'écrans dans l'écran qui jouent à tromper l'oeil du spectateur-, avec une utilisation assez maline du split-screen. Et si le réalisateur ne joue pas ici à renouveler de beaucoup les règles du "found footage" (à de rares moments, il nous interroge sur l'aspect mensonger de l'image, mais il préfère remettre en cause ce qu'a pu voir l'astronaute plutôt que ce qui a été filmé), préférant creuser les motivations de ses personnages et leurs choix pour avancer dans la mission, il l'utilise à bon escient pour créer un effet de réalisme qui fascine.
On pourra regretter que les moments passés sur Europa, le satellite, ne soient pas plus longs, par rapport au temps distendu du voyage : l'action s'accélère alors, et avec elle la tension nerveuse, jusqu'aux dernières images, bouleversantes. On aimerait que l'exploration, but ultime de cette odyssée fascinante, dure, on voudrait en savoir plus, sur ce vaste pays sous les mers dont on nous offre quelques images étourdissantes, bref, pris au jeu, comme ces scientifiques dévoués à leur désir de repousser les limites de l'inconnu, prêts pour cela aux plus grands sacrifices, on souhaiterait rassasier notre curiosité, malgré la peur que suscite cet Ailleurs aux possibilités indicibles, malgré les dangers qu'on lui devine associés...
On a fait tout un foin de Gravity, qui, personnellement, m'a assez déçue : si les quinze premières minutes m'avaient bien offert ce que je recherchais (la conscience d'être minuscule face au grand Vide), je n'avais pas trouvé que le film explore véritablement jusqu'au bout cette peur infinie de l'Humain face à l'Espace. J'ai plus trouvé cette sensation dans Europa Report, qui a coûté je-ne-sais-combien-de-fois moins cher : en une scène, atroce, qui voit un astronaute largué dans le vide, j'ai plus ressenti l'angoisse métaphysique que Cuaron a tant délayé dans ses océans de symboles. Et, avec un peu d'habileté et de bricolages, j'ai trouvé plus crédibles ces scientifiques-pas-en-carton, habités par les potentialités démentielles, merveilleuses, effrayantes, de l'exploration spatiale... que tous les tournis-boulis et fin new age de Gravity.
Le film n'est bien sûr pas sans défaut : mais, porté par une équipe d'acteurs convaincants, forgé habilement, parsemé de clins d'oeil lovecraftiens qui ne pouvaient qu'emporter mon adhésion, il m'a procuré, pendant une heure et demi, une véritable tension nerveuse que je n'ai pas éprouvée pour le film de Cuaron, et quelques beaux cauchemars, cette nuit, infiniment préférables au mal de crâne et de coeur que m'avait infligé Gravity.